Quelque 17 millions d'Afghans sont appelés à élire aujourd'hui leur nouveau chef d'Etat et les assemblées provinciales. L'heure de vérité sonne aujourd'hui pour l'Afghanistan qui s'engage dans une épreuve de force dont l'issue n'est plus tellement l'élection du chef d'Etat, mais bien celle de montrer que le pays s'est engagé dans une dynamique de retour à la normale en venant à bout des groupes islamistes qui veulent imposer aux Afghans leur diktat. Eu égard aux violences qui ont redoublé à la veille du scrutin présidentiel et provincial de ce jeudi, d'aucuns se demandaient si la consultation électorale aurait bien lieu. Ce qui aurait été incontestablement une victoire pour les taliban afghans. Aussi, il est peu probable qu'un tel cas de figure, le report du scrutin, se réalise. Le défi à relever par les autorités afghanes, et leurs soutiens de la force internationale, est certes d'organiser dans les meilleures conditions possibles un scrutin qui aura des retombées considérables sur le devenir de l'Afghanistan selon que les élections se déroulent «normalement», malgré la pression des groupes djihadistes. L'autre défi, c'est celui des citoyens afghans qui auront à se rendre en masse aux bureaux de vote alors que les taliban menacent désormais de s'attaquer directement à ces bureaux. Toutefois, les choses semblent avoir évoluée après une campagne électorale - la première véritable campagne électorale de l'histoire de l'Afghanistan - qui a bouleversé la donne politique et ouvert des horizons à des Afghans qui donnent l'impression d'être maintenant prêts à défier les taliban pour que leur pays retrouvent sa stabilité et que la population, dont la majorité n'a connu que la guerre lors des trois dernières décennies, vive enfin en paix. Aussi, les Afghans sont prêts à relever le défi d'aller voter, même si beaucoup d'entre eux doutent que le nouveau président ait réellement la capacité de remettre leur pays sur le chemin de la paix et de la stabilité. Aujourd'hui donc, ce sont deux volontés qui vont s'affronter pour le contrôle de l'Afghanistan, celle des autorités afghanes, soutenues par l'armada militaire internationale, qui veulent reprendre en main le destin du pays afin de rétablir la concorde, de construire la paix et de reconstruite un pays dévasté en quasi guerre civile depuis plus de trente ans. Il y a de l'autre côté, les taliban qui eux veulent, a contrario, conforter leur ascendant par la terreur comme le signale les attentats de mardi en plein coeur de la capitale Kaboul et contre la présidence de l'Etat et les attaques d'hier contre plusieurs objectifs. Aussi, un échec du deuxième scrutin électoral jamais organisé en Afghanistan sera-t-il lourd de conséquences pour un pays toujours marqué par le tribalisme d'une part, le poids des «seigneurs de la guerre» d'autre part, particularismes qui, outre de compliquer la donne politique, jouent cependant un rôle prépondérant dans toute stratégie qui se veut sortir le pays de la crise dans laquelle il est enfoncé depuis l'invasion des troupes soviétiques à la fin des années 70. De fait, l'Afghanistan est une grosse mosaïque d'ethnies dont les principales - à l'exception des Hazaras, enclavés au centre du pays - sont présentes de part et d'autre des frontières avec les Etats voisins (Iran, Pakistan, Turkménistan, Ouzbékistan et Tadjikistan). Trois ethnies - Pachtounes (l'ethnie la plus importante avec près de 50% de la population qui est également présente au Pakistan voisin, dont en font partie quelques uns de ses plus éminents dirigeants), Tadjiks et Hazaras - qui représentent 90% de la population estimée en 2001 entre 21 et 27 millions d'habitants. Comme ces ethnies qui sont elles-mêmes traversées par d'innombrables courants tribaux, il est évident que c'est loin d'être facile d'établir la concorde entre elles. Aussi, loin d'être homogène, la société afghane est marquée par une grande prégnance tribale qui jouera un rôle prépondérant dans la désignation du futur président. Ainsi, nombre de candidats - ils sont 41, dont trois femmes, à solliciter le suffrage de la population - reprochent au président sortant et favori du scrutin, Hamid Karzaï, son alliance avec des chefs de guerre dont nombre d'entre eux sont accusés de crime de guerre et de crimes contre l'humanité. Il semble toutefois que le président Karzaï n'ait pas d'autre choix que celui de brasser large, toujours dans le contexte de stabiliser d'abord le pays avant de penser à organiser les choses dans les règles de l'art. Il est évident aussi que dans la situation qui est la sienne, l'Afghanistan ne peut se payer le luxe de faire la fine bouche ou d'être trop regardant sur la qualité des hommes appelés à le sortir de sa profonde crise idéologique, politique, voire tribale. Le choix est retreint, ce qui fait que malgré ses défauts, nombreux semble-t-il, Hamid Karzaï semble bien, pour le moment, l'homme de la situation. Ce que la communauté internationale, qui lui reproche son laxisme et même certaines de ses alliances, a bien compris qui soutient le président sortant. Mais face à la violence et à la terreur taliban, l'Afghanistan se trouve face au dilemme du quitte ou double.