Pour arracher une place, il faut faire le pied de grue pendant des heures et parfois jouer des coudes. Quatre heures avant la rupture du jeûne, les restos de la Rahma affichent déjà complet. En ce début du mois de Ramadhan, ces restos du coeur se transforment, avant même l'appel du muezzin, en véritables ruches. Ainsi, pour pouvoir arracher sa place dans de tels endroits il faut faire le pied de grue pendant des heures et parfois il faut jouer des coudes. Ce sont les mêmes scènes de détresse humaine à travers plus d'une centaine de restos disséminés à travers Alger. En ce deuxième jour, depuis l'entame du compte à rebours, Mahdi surnommé la «Virgule» et ses trois compagnons se sont attablés depuis 18h30 dans un resto à Meissonnier. Kamel, même avec un salaire de 30.000 DA, gêné, rase le mur avant de franchir la porte du resto. A côté de ce groupe, un quinquagénaire algérois et un jeune venu de Batna, parlaient de l'histoire et sur le sort réservé à la gent féminine dans quelques villages des Aurès. «Les, femmes et jeunes filles ne sortent jamais de chez elles. Elles n'auraient pas encore le droit!», entend-on discourir. Les discussions tournaient autour du Snmg en deçà des besoins vitaux, la flambée des prix en ce mois de piété, le pouvoir d'achat laminé, bref, leur condition de salariés qui ne leur a jamais permis de s'offrir des repas dignes durant le Ramadhan. Les quelque 140 restos existants sont envahis par des milliers de nécessiteux et nécessiteuses. Les SDF, les mendiants qui peuplent les rues d'Alger, les sans-ressources mais aussi les fonctionnaires et ceux issus de la défunte classe moyenne sont autant de catégories sociales fréquentant ce genre d'endroits. Enfin, près de 3 milliards de DA ont été consacrés aux démunis selon les statistiques du département de Ould Abbès, soit 1.200.000 familles démunies. 1.775.000 couffins et 6.300.000 repas seront distribués durant le mois sacré qui verra également l'ouverture de quelque 600 restaurants de la Rahma au profit des personnes de passage et de pauvres. Toutefois, les Assemblées populaires communales participent en grande partie à cette opération de solidarité avec 66% du montant global, soit 1.946.000.000 de dinars, suivies des Assemblées populaires de wilaya avec 24% (800 millions de dinars), du ministère de la Solidarité nationale et du Croissant-Rouge algérien (CRA) avec 6%. Les contributions charitables des particuliers pourraient atteindre, dans le cadre de cette opération de solidarité, 113 millions de dinars, soit 3% de l'enveloppe financière globale de cette année selon les mêmes statistiques. Aujourd'hui, Mahdi et ses amis ne sont pas obligés de débourser 500 DA pour rompre le jeûne dans un restaurant, après une journée de privation et la fatigue du boulot. Les femmes ne sont pas en reste dans ces endroits. Deux à trois tables leur sont réservées dans chaque resto de la Rahma. En fait, le premier jour, les copains se sont fait avoir par le retard. Mal leur en prit, ils se sont mis en tête de débarquer une demi-heure avant la rupture du jeûne. Ce jour-là, les quatre jeunes hommes, tous célibataires, ont visité près d'une dizaine de restaurants, en vain. Aucune chaise, aucune place de libre. Déçus, les quatre copains, la mort dans l'âme, ont dû se rabattre sur un restaurant non pas de la Rahma, mais celui «du feu», dira Mahdi. Nassim est un autre salarié qui se trouve à 150 km de chez lui durant ce Ramadhan. A l'instar de ces quatre compagnons, Nassim a loupé son premier repas au niveau du resto du coeur ouvert au Foyer des cheminots, sis boulevard Hassiba-Ben Bouali. En conséquence, il n'a pu que grignoter quelques bouts parce que fauché. Toutefois, une mésaventure l'attendait au cours du deuxième jour du Ramadhan. Nassim était très contrarié d'apprendre que les tickets des repas avaient été distribués à 16 h. Sans argent, il fait la queue comme tout le monde pour tenter d'obtenir un plat sans justifier d'un ticket. Cela a marché cette fois, mais au terme d'un échange virulent avec le serveur. Nassim a dû tricher et mentir pour rompre le jeûne. Tenaillé par une fringale, un autre jeune homme dont la colère est visiblement montée d'un cran à l'heure du f'tour, a carrément défoncé la porte d'un restaurant de la Rahma à la rue Hassiba-Ben Bouali. Il était surpris par le fait que le restaurant ait bouclé ses portes avant même l'heure du f'tour. Par ailleurs, à voir l'affluence très nombreuse des personnes se rendre dans ces restos, il est urgent de multiplier ces lieux de solidarité durant le Ramadhan, en particulier, et pourquoi pas, tous les jours de l'année.