Il faut revenir au sens vrai, à la raison raisonnable, créative et inventive, et surtout se garder d'imiter l'Occident sur tout, alors qu'il est en crise. Les peuples tentent de résister, tant bien que mal, face aux dérives du monde hégémonique et à celles des despotismes internes. Les musulmans figurent parmi les dissidents majeurs qui refusent les injustices et la déshumanisation du monde marchand. Leur résistance commence à être ébranlée, surtout de par l'absence de créativité et de débat. Nous savons que le débat au sein du monde musulman reste faible. C'est pourtant une nécessité vitale, car la crise morale et économique dans le monde est profonde. De plus, personne ne dispose de recette miracle. Après le triomphalisme du libéralisme, issu de la chute du mur de Berlin, on assiste aujourd'hui à une sorte de panne générale, qui mine le système mondial. La solution ne peut venir uniquement de l'extérieur. Comment parler de résistance, de renaissance et de dialogue des civilisations, si le débat interne est presque inexistant? Des «inauthentiques» musulmans usurpent le nom de l'Islam, s'enferment dans le rigorisme, les crispations et le refus de discuter, de pratiquer l'autocritique, d'autres dénigrent leurs racines et imitent aveuglement l'Occident. Deux défis géopolitiques à relever: le débat avec l'Occident et celui interne. Le dialogue entre les deux rives est une nécessité, d'autant que tous sont embarqués dans le même monde. Il y va de l'intérêt général de se connaître, d'apaiser la situation et de clarifier avec discernement les problèmes et solutions possibles. Si le président Obama tente de changer la forme, des centres de décision considèrent le monde musulman comme le nouvel ennemi et opèrent des tentatives de détournement des problèmes politiques de notre temps. La voie Des carences sont visibles dans le monde musulman: faiblesse du débat interne, mouvement de repli, de mutisme et d‘intolérance, système rentier, pas de participation conséquente des élites. Pourtant, la liberté de parole et de conscience est un principe garanti par l'Islam. La foi est une affaire privée et le développement fondé sur la justice sociale est l'objectif majeur. La société est prise entre deux feux, celui des ignorants qui censurent la société et la nivèlent par le bas et celui des groupes qui pratiquent le mimétisme d'un modernisme immoral. Il faut travailler à l'éveil, à une voie d'avenir, sortir des faux dilemmes et fausses questions qui veulent obliger les peuples à choisir entre la tradition sclérosée et une modernité pervertie, alors que les deux sont dans l'impasse. Les intellectuels objectifs le savent, c'est la symbiose entre progrès et authenticité qui est la voie. Sur le plan culturel, en Occident, les musulmans sont invités à mener une nouvelle exégèse, une réflexion sur leurs propres sources: la relecture de leur histoire, une interprétation du statut de la loi et de la place de la religion dans la société, une réflexion sur l'interprétation du Coran. Il faut en effet sortir des clôtures dogmatiques, revenir au sens vrai, à la raison raisonnable, créative et inventive, mais il faut aussi se garder d'imiter l'Occident sur tout, alors qu'il est en crise. Il y a eu de grandes exégèses classiques de Tabari à Tahar Ben Achour, reste à renouveler l'interprétation pour notre époque, faire jaillir de nouvelles compréhensions. Certains suggèrent de le faire en relation avec les réflexions que les Occidentaux ont menées depuis le siècle dernier. D'autres souhaitent l'utilisation d'une méthodologie commune liée aux sciences dites humaines, au moment où elles sont en difficultés. Le bon sens invite les musulmans à de nouvelles réflexions et visions. Déconstruire notre regard au sujet de la question de la marche du temps est une des conditions d'une réforme approfondie. En gardant en vue que les problèmes sont d'abord politiques, liés à la question du rapport entre l'Etat et la société. Dans le monde arabe, chacun peut constater des amnésies au sujet de l'histoire, la rupture des liens sociaux, le malaise, la dégradation des conditions de vie et des comportements civiques, et une situation de dominants dominés sans justification crédible, alors que les potentialités existent. La justice est la première revendication des citoyens. L'économie doit répartir équitablement les richesses, prendre en compte les valeurs humaines et morales, même si s'enrichir est permis et «gagner de l'argent» légitime. La crise morale et économique mondiale ruine les prétentions de l'ordre dominant et balaie tant de théories et de prévisions. La condition du développement Il n'est pas illusoire de rappeler des principes éthiques: que l'argent doit circuler sans être source de profit spéculatif. Il doit être productif, selon des règles transparentes. Seul le travail doit en être la source. Si des banquiers occidentaux «avides de rentabilité sans conditions», avaient respecté un tant soit peu ces principes moraux, la crise internationale n'aurait pas eu lieu avec une telle ampleur, tout sachant qu'il n'y a pas d'économie de marché sans risque. Comment faire pour préserver l'intérêt économique national et encourager les investissements étrangers? Que faire pour produire des richesses, diminuer le taux de chômage et augmenter le pouvoir d'achat? Comment assurer la diversification des sources de revenus avec le primat de la production sur celui de l'importation et en soutenant l'exportation? Dans le domaine de l'urbanité, c'est-à-dire du cadre de vie et de travail, aujourd'hui sinistre, se pose la question de quel type de villes et d'espaces ont doit édifier? Il s'agit aussi, de se préparer rationnellement à l'après-pétrole, sur la base de la priorité à la ressource humaine, à l'école, et à l'université. La démarche de modernisation mérite d'être approfondie, à travers la continuation des réformes de l'Etat, de l'institution judiciaire et du système éducatif. La complexité des problèmes et la fragilité des acquis incitent à l'élargissement du dialogue et de la participation. Se réformer sur tous les plans politique, culturel et économique, en permanence, est une nécessité, car le risque de désagrégation ou de régression d'une société réside dans l'ignorance, l'immobilisme, le déséquilibre. La responsabilité est collective mais celle de l'Etat est majeure, faute d'ouverture suffisante et de communication en direction des citoyens. Dans le monde musulman sont inquiétants le rigorisme et l'étouffement des libertés individuelles et publiques, ou au contraire l'imitation de l'Occident, le libéralisme économique sauvage, l'individualisme, le désintérêt pour l'engagement commun. Pour se réformer sur le plan culturel, il ne s'agit pas de simplement restaurer la référence religieuse, les «droits de Dieu», ou au contraire de glorifier les seuls «droits de l'homme», mais oeuvrer à réinventer des êtres responsables, ouverts, capables d'articulation, de discernement et de mesure. Tous les citoyens attachés au bien commun sont tenus de dialoguer et de revoir les questions qu'on croyait résolus depuis l'avènement de la modernité et du libéralisme. La question politique détermine toutes les autres. Quelle est la condition du développement? Il s'agit de responsabiliser et émanciper les citoyens sur la base du respect de leurs droits et devoirs. Au vu du marasme général, il s'agit en somme de libérer la parole dans un cadre organisé et citoyen, de se mettre à l'écoute des concernés et de leurs élites. On ne pourra pas sortir de la crise et remettre les gens au travail, s'ils se considèrent marginalisés, par une caste rentière qui ne mérite pas ses privilèges. La notion de mérite reste fondamentale pour tout esprit de bon sens. De plus, comment peut-on s'imaginer tout connaître, tout savoir et pouvoir se passer des avis et conseils de ceux qui réfléchissent ou vivent l'amère réalité? Dans le monde arabo-musulman la fermeture est la pire des méthodes, même si le peuple, comme disent des philosophes, ne sait pas toujours ce qui lui est bien. Il est vital d'écouter, de communiquer et d'expliquer les décisions prises, hors de tout populisme et sentiments. Le projet de société répondra aux nécessités sociales et enjeux et les tensions régulées, si les finalités sont expliquées et partagées. Le dialogue en vue de former, rassembler et responsabiliser, donne toujours ses fruits pour refonder la Nation. La morale politique et le développement sont à ce prix: le débat interne. (*) professeur en relations internationales [email protected]