Ennemis en politique, adversaires dans le prétoire: l'ex-Premier ministre Dominique de Villepin, accusé d'avoir participé à une sombre conspiration et le président français Nicolas Sarkozy s'affrontent depuis hier dans un procès inédit devant le tribunal de Paris. Dominique de Villepin, suspecté d'avoir trempé dans une machination pour déstabiliser Nicolas Sarkozy avant 2007, n'a eu de cesse de dénoncer l'acharnement du président contre lui et les pressions de l'Elysée sur la procédure. Il devait plaider d'emblée l'irrecevabilité de la plainte du chef de l'Etat, une des quarante parties civiles dans le dossier. Assuré de l'immunité durant son mandat grâce à un article de la Constitution qui ne lui interdit pas toutefois de réclamer justice, Nicolas Sarkozy introduit devant le tribunal une «rupture du principe du procès équitable», affirment les avocats de l'ancien Premier ministre. Si le tribunal rejette ce recours, M.Sarkozy doit être représenté par son avocat durant le procès. En tant que partie civile, il siègera au banc des victimes. Le député socialiste Pierre Moscovici a estimé hier qu'avec ce procès, on atteint «le paroxysme de la haine» en politique, jugeant «quand même extrêmement gênant» qu'un président de la République soit «partie civile face à un ancien Premier ministre». «Cette volonté de se nuire mutuellement» entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin «c'est quand même extrêmement gênant et je pense que le public va rester ébaubi de ce procès», a-t-il ajouté. La préparation du procès, dont l'ouverture s'est faite hier, se déroulait dans une ambiance hors normes hier matin. Une cinquantaine de journalistes ont décroché le précieux badge leur permettant de pénétrer dans la salle d'audience, où fut condamnée à mort la reine Marie-Antoinette le 16 octobre 1793. Durant un mois, le tribunal correctionnel va devoir tenter de savoir qui a falsifié des listings bancaires accusant de corruption près de 200 personnalités du monde politique et industriel, dont Nicolas Sarkozy. Le but de cette manipulation très complexe, qui remonte à 2003, était de discréditer ces faux détenteurs de comptes auprès de la chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream, en les faisant passer pour des bénéficiaires de pots-de-vin au moment d'une vente d'armements à Taiwan en 1991. Un juge qui enquête sur ces faits reçoit les listings, expédiés anonymement. Une enquête pour dénonciation calomnieuse est ouverte. Nicolas Sarkozy est à l'époque ministre dans le même gouvernement que Dominique de Villepin, avec qui il est engagé dans une lutte sans pitié pour succéder à Jacques Chirac en 2007. Pour M. Sarkozy, le rajout de son nom vise à le «salir» auprès de l'opinion publique afin de lui barrer la route de l'Elysée. Il soupçonne son rival et fait alors le voeu de «pendre à un croc de boucher» l'auteur de cette déstabilisation, selon des propos qui lui sont prêtés dans plusieurs livres. Dominique de Villepin, inculpé de complicité de dénonciation calomnieuse et qui risque jusqu'à cinq ans de prison et 45 000 euros d'amende, nie quant à lui toute implication dans cette falsification. Devant le tribunal, il joue son avenir politique. Malgré la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 et même s'il est aujourd'hui isolé politiquement, il n'a pas renoncé à ses ambitions présidentielles et à prendre sa revanche. Ses rares fidèles viennent de lancer le Club Villepin car, peut-on lire sur leur site Internet, «le pays a besoin de lui pour peser sur le présent et défricher l'avenir».