La plus belle voix du Maroc a débarqué au Théâtre de verdure sur fond de lumière de la baie d'Alger. Abdelwahab Doukali entre en scène. L'orchestre a déjà préparé la foule. L'ambiance est à son comble avant même le commencement. Sur une chaise, le luth attend sagement son maître. Les traits de vieillesse sont très vite démentis par toute cette énergie. On oublie vite la présentatrice qui y va de ces «assala», «moutamassek», «wazira», «tafaoul» et autres arabesques du genre. Il est là, le fou chantant. Au milieu de la scène, gardée par une maquette d'avion aux couleurs de Khalifa et un demi cercle d'agents de sécurité des deux sexes, Doukali donne le «la». Qui retiendra la folle course des archers sur les violons? Qui osera interrompre l'infernal bombardement des trois derboukas? L'orchestre tient dans ses mains. Plutôt dans ses doigts? «Hadjbouk laâda», ouvre le bal. Ni les mers ni les remparts, et encore moins les montagnes imprenables ne pourront empêcher le coeur amoureux de voir sa bien-aimée. Doukali tape du pied, vogue sur les variations et entame quelques pas de danse sous le tir intensif des derboukas. Il tape sur le dos de son luth, parle avec des signes avec l'orchestre, reprend son instrument et fait monter sa voix à l'aune de la douleur du «âchek» damné. Parce que très exactement comme le dit Doukali: «Behoubak âyech», je vis grâce à ton amour. Et d'enchaîner, juste avant d'accorder l'orchestre, sur «Allah la y'zid akthar». le public ne se retient pas. Ça danse ferme. Un groupe de marocains lance des «taqdimate» et des youyous qui viennent du fond du Rif. Un détour par la Palestine. Le temps d'une chanson dédicacée à «la mère des causes». Puis «Biya oula bik a lahwa» enflamme les coeurs et les danseurs tous âge et sexe confondus. S'ensuit une envolée du style des derviches: «Koul chi rah maâ ezzamzen». Crescendo d'enfer au final. Applaudissements. Youyous. On en redemande. Et bien en revoilà. «Kan ya ma kan» raconte une variation d' «El Harraz». Les bras croisés et la voix tendre, Doukali se fait conteur, troubadour. L'ambiance devient plus grave. «Montparnasse, chante Doukali, a tué mon frère». «Le racisme ô mon père» et «la nostalgie du bled ô ma mère», lance le fou chantant en une litanie majestueuse. Mais soudain, on change de ton et de timbre. «Ma ini ila bachar» recadre l'ambiance. C'est l'hystérie joyeuse sur les gradins. «Il suffit de ton sourire pour que le monde me sourit», assure Doukali, appuyé par l'argument frappant des derboukas et le murmure du bassiste. Changement de registre. On ne s'en lasse pas. Tout s'achète et se vend au «Souk el bacharia». Mélodie enchantante, gaie, mais faussement frivole. Tout le monde l'attendait, Doukali l'offre: «Mersoul el houb». Pourquoi tant de retard pour la réponse? N'a t-il aucune pitié ce messager de l'amour? Final en apothéose. En deux heures à peine, le show était réussi. Merci Doukali!