L'Algérie ne compte pas sacrifier ses intérêts sur l'autel du football, même si elle paraît en déphasage avec l'homme de la rue. Le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et celui de l'Energie sont d'accord pour souligner qu'il n'y pas lieu d'alimenter la tension, palpable depuis plusieurs jours entre l'Algérie et l'Egypte. Cette position n'est pas sans risques même si par ailleurs, elle peut être qualifiée de mesurée. Le risque est que cette situation soit perçue comme en déphasage avec l'opinion publique qui réclame, au contraire, un durcissement de la réponse algérienne aux provocations parvenues d'Egypte. Avant-hier, les travailleurs d'Orascom Ciment ont même organisé un rassemblement devant le siège de la société à Hydra, pour refuser le retour des travailleurs égyptiens à l'usine de Msila. A constater aussi que du côté égyptien, ce ne sont pas les appels au calme qui manquent. Le dernier en date provient du président Hosni Moubarak alors que le ministre de Affaires étrangères l'avait précédé dans cette quête. Mais conscient du poids de l'opinion à quelques mois des élections, le gouvernement est bien obligé de montrer des signes de protestation. Le rappel de l'ambassadeur entre dans le cadre des actes et des déclarations destinés à la consommation locale. En Algérie, si le gouvernement prêche un discours modéré, c'est qu'il considère que l'essentiel a été fait puisque la qualification au Mondial est acquise. D'autres choses tout autant essentielles, ont également été accomplies puisque le pont aérien vers Khartoum est considéré partout comme une prouesse à l'origine de laquelle se trouvent les autorités. Il n'y a donc plus d'impératifs qui conduiraient ce dernier à adopter une stratégie de radicalisation. Si ce n'est que pour sauver la face et répondre aux injures des Egyptiens, le Premier ministre estime que la presse s'en charge à merveille. Cela a l'avantage de le dispenser de l'effort de se placer au même niveau que les fils Moubarak. C'est aussi une manière de laisser entendre que ce sont les médias égyptiens qui amplifient le climat de friction entre les deux peuples et qu'il appartient donc aux moyens de communication locaux de faire face à cette campagne. Au lieu de s'impliquer dans la campagne de dénigrement, le gouvernement algérien suggère, au contraire, des voies de sortie de crise. La première mesure est de considérer qu'il n'y a rien de grave. En rejetant les offres de médiation, le ministre des Affaires étrangères a bien justifié sa décision par le fait qu'il n'y a pas de rupture de relations pour arriver à de telles démarches. Cette clémence est loin d'être l'attitude de l'homme de la rue. Les premiers réflexes adoptés concernent le boycott des produits culturels. Chansons et films égyptiens ne sont plus parmi les oeuvres préférées des Algériens. Sur un registre plus violent, les dégâts subis par les entreprises à capitaux égyptiens, sont aussi une réponse du ressentiment des Algériens vis-à-vis des propos insultants qui n'ont épargné ni le peuple ni ses institutions et encore moins son histoire. Ce sera justement à l'histoire que reviendra le verdict dans cette affaire, selon Ouyahia. A froid. Les réactions épidermiques sont plutôt perçues comme l'apanage du peuple. Ce même peuple n'accepte pas que les joueurs de son équipe et les supporters soient agressés et que l'on reste sans lever le petit doigt pour riposter. Serait-ce pour autant qu'il est opportun de conclure que le peuple est plus apte à montrer des signes de patriotisme plus que tout autre structure? Si c'est le cas, faut-il nécessairement s'en réjouir? Et que fera l'Etat pour canaliser ce sursaut du sentiment national? Paradoxalement, cette cascade de réactions du peuple a tout l'air d'un signe de plus du divorce avec tout ce qui représente un signe d'autorité. Il y a un signe qui ne trompe pas. Depuis quelques mois, un ministère a initié la campagne «Un drapeau pour un foyer» sans bénéficier d'un écho favorable. Cela n'a pas empêché des millions de jeunes et moins jeunes de dépenser plusieurs centaines de dinars pour acquérir ce même drapeau et exprimer leur joie à la suite de la qualification de l'EN. Ne soyons plus étonnés que gouvernants et gouvernés ne soient pas sur la même longueur d'onde.