L'enquête publique sur l'engagement armé britannique en 2003 n'est pas un tribunal, c'est pourtant bien à un procès que les Britanniques ont le sentiment d'assister, jour après jour. La guerre d'Irak n'en finit pas de hanter Tony Blair, appelé demain à s'expliquer devant une commission d'enquête: elle a contribué à écourter son troisième mandat, à l'écarter de la présidence de l'UE, a terni son bilan et hypothéqué son avenir. L'enquête publique sur l'engagement armé britannique en 2003 n'étant pas un tribunal, elle ne prononcera pas de sentence, a averti son président John Chilcot, haut fonctionnaire à la retraite. C'est pourtant bien à un procès que les Britanniques ont le sentiment d'assister, jour après jour. Celui de leur ancien Premier ministre et de sa méthode dite de «sofa government», une gestion de crise en cercle restreint, assortie d'une présidentialisation à outrance. Demain, l'avocat de profession au sourire, un rien forcé, assurera sa propre défense dans l'affaire qui lui vaut une impopularité durable. Sept ans après, 52% des Britanniques pensent qu'il les a «délibérément induits en erreur», en affirmant que Saddam Hussein disposait d'armes de destruction massive (ADM) pour justifier la guerre. Une éditorialiste du Times a évoqué «la revanche des mandarins de Whitehall», le quartier des ministères, à propos du défilé des témoins venus «planter leurs stylos Mont-Blanc dans le dos» d'un Blair qui les a contournés, tandis que la presse populaire exhumait les sobriquets de «B-liar» (un jeu de mots avec «liar», menteur) et de «caniche des Américains». Les dépositions de militaires, maîtres-espions, ministres, fonctionnaires et autres diplomates ont dessiné l'image d'un Blair convaincu jusqu'à l'entêtement de «la justesse de sa cause», volontiers aligné sur «son ami» George W.Bush et «les faucons» de son entourage, avec un soupçon de manipulation dans l'argumentation. Bombardé de critiques sur le bien-fondé, voire la légalité du 5e conflit (soit plus que Winston Churchill et Margaret Thatcher réunis) dans lequel il a entraîné son pays, l'architecte du «New Labour» porté au pouvoir par un raz-de-marée en 1997, a dû céder la place à Gordon Brown en 2007. De guerre lasse. A son actif, le modernisateur charismatique, champion d'une «3e voie» centriste au slogan ultra-pragmatique («ce qui compte, c'est ce qui marche»), a notamment rénové la Chambre des Lords, donné son indépendance à la Banque d'Angleterre et accru l'autonomie de l'Ecosse, du Pays de Galles, de l'Irlande du Nord, dotée d'un accord de paix. Il a doublé les crédits de l'Education et triplé ceux de la Santé. Il n'empêche, le bilan du dirigeant dont la cote d'amour a culminé à 90%, quand il prétendait faire du Royaume-Uni «un phare de l'univers», est surtout jugé à l'aune du conflit irakien. C'est encore et toujours l'Irak, conjugué au rendez-vous manqué de cet europhile avec la monnaie unique européenne, qui fut récemment mis en avant pour bloquer sa candidature à la présidence de l'UE. Le Blairisme? Les travaillistes en accommodent les recettes dans le maigre espoir d'éviter une cuisante défaite aux prochaines législatives, tout en se gardant d'invoquer Blair qui sent le soufre. A 56 ans, Tony Blair, quant à lui, sillonne le monde: chef du Quartet au Proche-Orient, conférencier rémunéré 2200 euros la minute selon les calculs des médias, chantre de la bonne gouvernance en Afrique, de la lutte contre le réchauffement climatique et du dialogue interreligieux, conseiller de JP Morgan, de Zurich Financial et bientôt du groupe de luxe LVMH, à en croire des indiscrétions. La presse épingle régulièrement sa boulimie et son patrimoine qui comprend un manoir classé dans la campagne anglaise, tandis que des associations anti-guerre et des parents des 179 soldats tués en Irak espèrent le traduire un jour devant la justice internationale pour «crime d'agression».