Moins de 170.000 personnes ont rejoint, sans grand appui, leur habitation précaire. L'exode dû à la situation sécuritaire qui a prévalu entre 1993 et 1997 a contraint plus de 1,5 million de personnes à se déplacer, quittant villages, hameaux et domaines agricoles, pour se greffer à la périphérie des villes. Cet état de fait a accentué les problèmes dus à la délinquance, à la violence (qui peut, dès lors, se vêtir de n'importe quel habillage politique, religieux ou social), la prostitution, l'indigence et le chômage. Sans que les autorités y prennent garde, de nouveaux foyers de tension sont nés, et de nouveaux viviers du terrorisme ont enfanté de nouvelles couvées. En termes clairs, le terrorisme (qui n'est pas né de rien) a généré autant de foyers de tension que de nouveaux viviers, qui vont, à l'infini, l'alimenter, le nourrir, lui porter secours, le pourvoir et le remplacer. Prenons, aujourd'hui, les villes de Djelfa, Médéa ou Chlef. Plus de 100.000 personnes, fuyant le terrorisme, sont venues se greffer à la périphérie des chefs-lieux de wilaya, ajoutant à une indigence sociale déjà accrue, de nouveaux fardeaux, où l'expression violence de la mal vie est le maître-mot. A trente minutes de la capitale, se dresse, pittoresque et inquiétant à la fois, le «village fantôme» de Ouled Ali. Vidé de ses 5000 habitants, il n'est plus qu'un ensemble squelettique d'habitations sans habitants, de puits asséchés et de routes défoncés. Des villages pareils, il en existe des centaines, des milliers, à Blida, Médéa, Relizane, Tiaret, Tissemsilt, Aïn Defla, Chlef et Mascara. Qu'ont fait les walis pour ces gens déplacés? Le plus souvent - à la lumière de l'enquête que nous avons menée auprès des services de huit wilayas du Centre - il ressort que très peu ont bénéficié de soutien réel pour réintégrer leur village d'origine. Dans une ville sinistrée comme Larbaâ, il s'en est trouvé des responsables locaux, pour menacer ceux qui ont construit de manière illicite aux portes de la ville, de les renvoyer chez eux. Chez eux, c'était Tablat, Souhame et les villages abandonnés où la sécurité n'existe pas encore. Les élus locaux, dans une large majorité, menacent à défaut de trouver des solutions. La wilaya de Médéa a eu au moins ce mérite - tout comme les services de la wilaya de Blida - d'avoir recensé les zones fuies, le nombre de déplacés et, éventuellement, le nombre de personnes qui sont retournées aux villages (re)sécurisés, même partiellement, par la présence accrue des GLD, de la garde républicaine ou de gardes communaux. Les services de la wilaya de Chlef ont adopté le «je-ne-sais-pas». C'est le maître-mot de leur attachée de presse. Aucune initiative d'information, conjuguée à une monstrueuse fatuité d'assumer l'ignorance. Il a fallu l'intervention du wali lui-même pour connaître ce qui a été fait pour les déplacés. En termes clairs, et pour les wilayas les plus touchées, seuls 170.000 personnes sont retournées chez elles. Près de 1,3 million de personnes restent dans l'état de leur exode. Et si aujourd'hui, le ministre de l'Intérieur s'inquiète du retour de ces populations chez elles, afin, d'abord, de désengorger les villes, ensuite de ne pas laisser vacants leurs champs, leurs maisons et domaines, et reprendre une vie normale et, enfin, de contribuer à un meilleur équilibre lors des échéances électorales à venir, il lui faut réellement des hommes à la mesure de cet objectif. Le retour des personnes déplacées requiert une relance économique, une sécurisation des endroits fuis et une politique générale qui peut échapper au gestionnaire d'une seule ville. L'argent débloqué par les APC pour permettre aux gens de reconstruire leurs maisons rasées ou démolies partiellement, arrive-t-il toujours à bon port ? Voir... La manière de sensibiliser les gens afin qu'ils retournent dans leurs villages sécurisés sont-elles toujours efficaces? Pas du tout, on l'a vu, certains sont repartis chez eux presque les larmes aux yeux. Existe-t-il, là où on veut les ramener, les infrastructures permettant un rapide retour à la vie normale? Voir... Beaucoup de questions restent posées à longueur de ligne dans un contexte politico-sécuritaire marqué par les antagonismes, et où les personnes déplacées sont les dernières à être au courant de ce qui les attend.