Chaque année, à l'approche du 20 Août, comme un rituel réglé à l'avance, la presse, la télévision et la radio se saisissent de cette grande date pour en traiter les aspects les plus saillants. La première appréciation qui a été retenue, et qui continue d'alimenter les évocations concernant les assises de la Soummam, et là-dessus tout le monde est d'accord, est le fait qu'elles se soient déroulées en terre algérienne à une période où les Algériens, galvanisés par les premiers coups de feu marquant la rupture d'avec la revendication exclusivement politique, faisaient la guerre en baignant dans un climat non dénué de témérité. Composée de contingent représentant une jeunesse dont la tactique de combat puisait sans limite dans l'audace et le courage, l'ALN, dont la renommée ne cessait de grandir, maîtrisait parfaitement le terrain. Organisé dans la discrétion entre gens avertis de l'importance qu'une telle rencontre devrait pouvoir revêtir pour l'avenir de la lutte armée et l'image politique de l'Algérie dans le concert des nations, le Congrès du 20 Août s'est déroulé au coeur de la Kabylie, en wilaya III, dans la mechta d'Iqbal dans la vallée de la Soummam. Cela en dépit du fait, important à tous égards, selon lequel l'autorité coloniale était au courant que d'importantes assises allaient se tenir quelque part en Kabylie. Le renseignement qui mit la puce à l'oreille de l'ennemi, filtra incidemment aux alentours du 23 juillet 1956, pratiquement un mois, jour pour jour, avant la rencontre. Le caractère fortuit de cette découverte par les Français qui, vu l'importance de la rencontre, devaient la saisir pour empêcher qu'elle ait lieu, s'explique, selon certaines sources, par le fait qu'ils soient tombés sur d'authentiques documents concernant le futur congrès qui, cependant, ne mentionnaient ni le lieu ni la date de son déroulement. On sait, en revanche, que même si ces précieuses données avaient échappé aux analystes de l'armée coloniale, l'ALN, de son côté, ne lésinera ni sur les hommes ni sur les moyens, pour assurer la sécurité des congressistes pendant toute la durée de la rencontre. Sait-on jamais! Et puisqu'on vient d'évoquer la sécurité et les moyens mis en oeuvre, rappelons que toutes ces prérogatives ont été dévolues au colonel Amirouche qui, outre cette charge, devait prendre des précautions supplémentaires pour parer à toute éventualité. Par exemple en exigeant des congressistes de se déplacer de mechta en mechta pour éviter des incursions ou des attaques-surprises de la part de l'armée française dont les indicateurs pouvaient, à tout moment, dénoncer la rencontre tant ils étaient partout infiltrés. Chaque année, à l'approche du 20 Août, comme un rituel réglé d'avance, la presse, la télévision et la radio, se saisissent de cette grande date pour en traiter les aspects les plus saillants. Malheureusement et c'est bien dommage, malgré des témoignages parfois intéressants, le congrès de la Soummam dont tout le monde se rappelle grosso-modo l'événement, ne fait plus recette. Naguère, on y allait en pèlerinage seul ou en famille; le lieu ayant même attiré de grandes chanteuses venues spécialement de l'étranger pour la fête. Depuis quelques années, les officiels ne s'y rendent hélas, que s'ils sont forcés de le faire. Ce qui a eu pour conséquence de raréfier les manifestations en amenuisant le caractère particulier de la région d'Ifri, d'Ighzer Amokrane et la solennité que requiert le pèlerinage d'Iqbal. D'où l'effondrement de l'intérêt qui servait, durant les années 1970-80, de stimulant à des milliers de personnes pour se déplacer vers ce haut lieu du souvenir. Les repères comme Iqbal devraient pouvoir trouver un écho permanent auprès du gouvernement et des attentions particulières pour éviter que la froideur de l'oubli ne les extirpe à jamais de la mémoire collective. Cela étant dit, il faut savoir qu'aucune étude approfondie du Congrès de la Soummam n'a été entreprise à nos jours. Le devoir de mémoire de l'Etat n'est-il pas de veiller à ce que des travaux des recherches soient lancés en permanence pour en finir avec la culture de l'oubli perpétuel? A ce titre, nous aurions bien voulu apprécier les débats de l'APN dans ce registre au moins pour tester les véritables motivations qui poussent de plus en plus de candidats à la députation. Quoi qu'il en soit, le congrès de la Soummam a bel et bien eu lieu le 20 Août 1956 et de grandes décisions y ont été prises. Avant d'en énumérer quelques-unes, il faut savoir que l'idée d'organiser de telles assises quelque part en Algérie, le troisième mois après le déclenchement de novembre, aurait germé au sein du comité des «22» au mois de juillet 1954 lors de sa réunion chez les Deriche à Madania. En creusant un peu plus, on découvre que la date qui avait été fixée à Madania correspondait au 8 du mois de janvier 1955, journée au cours de laquelle devait, effectivement, se tenir à Alger une réunion comprenant les responsables des zones de combat pour tirer un premier bilan de la grande offensive de l'ALN depuis le commencement de la guerre. Cette réunion n'a pas eu lieu pour une raison bien simple, la plupart des responsables de zones se sont aperçus, en conduisant les combats dans leurs régions respectives, que leur charge de travail avait décuplé. Sans oublier que certains d'entre eux, comme Larbi Ben M'hidi, blessé, lors d'un accrochage dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, ne pouvaient faire le déplacement. Il faut, par ailleurs, noter qu'entre 1954 et 1956 un certain nombre de dirigeants de la première heure avaient disparu du théâtre des opérations tels Mourad Didouche, Zoubir Bouadjadj, Rabah Bitat, Boudjemaâ Souidani pendant que d'autres, des hommes politiques connus comme Ferhat Abbas, Benyoucef Benkhedda étaient sur le point de rompre définitivement avec leurs propres hésitations pour rejoindre le FLN. Il faut dire aussi que depuis novembre 1954, les choses sur le terrain avaient pris une tournure dynamique. La guerre gagnant en intensité de chaque côté de la barrière. Prise de court au tout début de l'embrasement, la France s'était ressaisie en organisant un véritable pont aérien entre les deux pays pour transporter des contingents entiers de soldats pour combattre en Algérie. Et comme Paris était membre à part entière de l'Otan, il n'a pas hésité à demander l'appuis stratégique de cette organisation, notamment en surveillant nos côtes en vue d'empêcher tout navire suspecté de transporter de l'armement de s'en approcher. Outre ces mesures d'urgence, le gouvernement français, qui ne voyait d'autre issue au conflit que celui d'écraser l'ALN, se mobilisa entièrement en répondant par des mesures radicales à la nécessité de freiner son évolution à l'Armée de libération nationale avant de l'anéantir. Un songe qui n'aboutira qu'à enfoncer davantage l'armée coloniale dans la «sale guerre». Cela étant rappelé, la question est de savoir qui était ou qui n'était pas présent à la Soummam. Question qui, en principe, ne devrait pas être posée puisque, depuis le début, la Guerre de Libération avait été déclenchée par un comité révolutionnaire composé de «neuf» ou de «six» personnes décidées de rompre avec la revendication purement politique. Cela pour dire que sa direction a été toujours collégiale et son fonctionnement fondé théoriquement sur la démocratie. Au congrès pourtant au moins trois grandes sections n'ont pas été représentées. A savoir: la wilaya 1 (Aurès) pour des raisons qui demandent à être approfondies, la Fédération de France du FLN et la Délégation extérieure du FLN du Caire que Ben Bella devait personnellement représenter. Les raisons de ces absences exigeant un plus long développement, nous nous contentons d'en signaler le fait en transgressant peut-être notre propre principe pour ajouter un mot concernant les Aurès qui, depuis la mort du charismatique Mustapha Benboulaïd, ne connaîtront pratiquement pas de stabilité dans leur direction politico-militaire. Ce constat, notons-le, avait été fait durant le congrès qui a dû prendre des mesures, notamment l'envoi d'urgence dans les Aurès de deux émissaires dûment accrédités par Abane Ramdane et d'autres signataires importants pour tenter de ramener l'ordre entre les factions antagonistes au pays de la Kahina. Les deux émissaires étaient Amirouche et Zighoud Youcef qui avaient reçu l'ordre de tout tenter, mais comme à l'impossible nul n'est tenu, on devine aisément le reste. Au bout du voyage malheureusement, seul Amirouche arrive à destination, Zighoud ayant été tué en cours de route dans une embuscade particulièrement meurtrière. Le futur chef de la wilaya III ne séjournera dans les Aurès que trois mois après quoi il décide de rentrer en Kabylie sans donner d'explication. Encore un mystère à élucider! Son retour précipité avait-il été conditionné par l'arraisonnement vers l'aéroport d'Alger de l'avion marocain transportant les cinq de la délégation du Caire? Une étude approfondie du congrès de la Soummam nous en apprendrait certainement beaucoup plus. Comme on vient de le voir, au congrès d'Iqbal, tout le monde n'était pas représenté, mais il n'empêche qu'un grand nombre de décisions y ont été prises. Et en premier lieu, la confirmation de l'existence de la wilaya VI et la ZAA (Zone autonome d'Alger). Outre des mesures par lesquelles le congrès décidait de constituer un Cnra (Conseil national de la Révolution algérienne), l'organisation de l'armée en bataillons, katiba et ferka, du conseil de la wilaya, de la zone, de la région, du secteur et du village - un système dominé par la structure pyramidale - le congrès désigna un comité de coordination et d'exécution composé de cinq membres: Ramdane Abane, Benyoucef Benkhedda, Larbi Ben M'hidi, Saâd Dahleb et Belkacem Krim. Ces désignations n'ont-elles suscité que des approbations? Sûrement pas dans la mesure où on a reproché à Ramdane Abane de n'avoir pas élargi son CCE. Il est vrai, par ailleurs, que Abane faisait de la politique et à ce titre, il ne pouvait se permettre de contenter une bonne partie des gens présents en aliénant le critère de l'efficacité. C'est vrai qu'il avait l'embarras du choix parmi les personnalités à l'origine du 1er Novembre, des personnalités comme «Ben Tobbal, Boussouf, Zighoud Youcef, etc». Sans parler des «Six» ou des «Neuf» comme Boudiaf, Mohamed Khider et Ben Bella. Choix qu'il n'a pas cru bon de devoir faire et qui a conduit beaucoup d'observateurs à dire ou écrire que des inimitiés ont apparu au grand jour après ce choix. Elles représentent également la raison essentielle qui empoisonnera plus tard les rapports au sein de la direction de la révolution. Cette appréciation est-elle vraiment fondée? Beaucoup le pensent encore aujourd'hui.