Le ministère de l'Education et les syndicats sont mis en demeure de trouver un terrain d'entente. Lugubre est la scène qui se déroule devant le portail du lycée Bouamama (ex-Descartes). Sauf que là, il ne s'agit pas d'une pièce théâtrale. A El Mouradia où est situé le lycée, c'est l'avenir des élèves qui se joue. Les hauteurs d'Alger retiennent leur souffle. Des groupuscules d'élèves se sont formés. Ils affichent des mines inquiètes. Les examens du deuxième trimestre sont renvoyés aux calendes grecques. L'établissement observe un arrêt de cours depuis trois jours. Le mot d'ordre de grève lancé par le Conseil national des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (Cnapest) et l'Union nationale des professionnelles de l'éducation et de la formation, est suivi à la lettre. Devant le lycée, la file de véhicules s'allonge. Des parents d'élèves sont venus chercher leurs enfants. Il est 11h45, l'heure de la sortie des élèves approche. «Nos enfants sont pris en otage dans ce bras de fer entre le ministère de l'Education et les enseignants», déplore M.D., architecte, 46 ans, installé dans sa voiture de marque Dacia, il a l'air d'un père de famille tourmenté. «J'ai raté une journée de travail. Je suis venu chercher mes deux enfants». L'établissement en question a une particularité. Il regroupe les trois paliers scolaires: le primaire, le moyen et le secondaire. Il est midi. Les élèves sortent. Ils viennent de perdre une autre demi-journée, une de trop, de leur scolarité. Nous prenons le chemin vers la place Audin. La circulation est au ralenti. Les ruelles ressemblent à des fleuves métalliques. Une heure après, nous arrivons devant le CEM Pasteur. Réputé comme fief de l'Unpef, ce CEM est en grève. Devant la porte fermée de l'établissement, des élèves ironisent sur les effets du débrayage qu'ils subissent. «Regardez, ils les laissent livrés à eux-mêmes sur la voie publique», s'exclame une maman. Celle-ci appelle sa fille. «Il n'est pas question de la laisser ici», tranche-t-elle. Soudain, son visage se crispe. «C'est l'anarchie qui règne dans le secteur de l'éducation. Ni le ministère ni les syndicats ne se soucient de l'avenir de nos enfants», fulmine cette dame. Sa colère est lancée comme un SOS à l'ensemble des régions du pays. A Tizi Ouzou, le mouvement de grève qui se prolonge inquiète au plus haut point les parents d'élèves. Impuissants, ces derniers voient arriver le spectre de l'année blanche. Certains se demandent même si l'administration et les syndicats ne font pas fi de l'avenir de leurs enfants. «La tutelle doit, en priorité, penser à l'avenir de nos enfants et non à des intérêts conjoncturels politiques et financiers», déclare le père de trois collégiens. D'autres avis évoquent, également, la nécessité d'asseoir le dialogue entre les deux parties. «Le ministre doit écouter les enseignants, il y va aussi de l'intérêt et de l'avenir de mes enfants», affirme un autre parent dont les deux filles sont censées passer le Bac cette année. La même inquiétude est perceptible dans la wilaya de Béjaïa. En effet, les parents d'élèves refusent que leurs enfants soient les otages du bras de fer entre les enseignants et le département de Boubekeur Benbouzid. Aussi, ils menacent d'occuper la rue si cette situation persiste. «Je ne vois pas comment mes enfants prépareront leurs examens après les deux longues coupures dans leur année scolaire», regrette Saïd, rencontré au café Naciria, dans la ville de Yemma Gouraya. En effet, le secteur de l'éducation a connu, pour le moment, deux mouvements de grève. Celui du 8 novembre dernier a duré presque un mois. Depuis mercredi dernier, un autre débrayage est enclenché. Important, cet arrêt de travail comprend 93% du personnel de l'éducation à l'échelle nationale. C'est le cas, notamment, à Bouira. Dans cette région, la continuité du débrayage suscite moult réactions. «Les enseignants sont dans leur droit de demander des augmentations, mais nos enfants aussi ont droit à une scolarité stable», estime Hamid F. vétérinaire et père de trois enfants scolarisés. «L'année blanche sera une nouvelle catastrophe après celle de l'école fondamentale», avertit, pour sa part, Rachid, un agent immobilier. Ce vent de colère s'est répandu dans l'est du pays. Le tempo est donné par la ville de Constantine. «Il faut réagir avant qu'il ne soit trop tard, car l'avenir de nos enfants est en jeu», s'insurge une mère. «J'espère que l'on n'arrivera pas à l'arbitrage des instances internationales pour déclarer année blanche. Cela sera catastrophique», fait savoir un père de trois enfants scolarisés. De l'est à l'ouest du pays, le risque de l'année blanche hante les esprits. A Oran, les parents d'élèves perçoivent des lendemains incertains pour leur progéniture. «Il est inadmissible de pénaliser les enfants», lance Youcef Chaâibi, père de trois enfants dont deux sont touchés par la grève. Tout en reconnaissant la légitimité des doléances des enseignants, ce dernier exhorte le département de l'éducation à intervenir pour éviter l'annulation de l'année scolaire. Des entrailles de l'Algérie s'élève le cri des parents qui voient l'avenir de 8 millions d'élèves hypothéqué. A l'unisson, ils rejettent l'année blanche. Pourvu que leur cri ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd.