Jeune, dynamique et plein d'ambitions, Samir Ferjani est un musicien et compositeur tunisien. De passage à Alger, ce talentueux flûtiste, revient, le temps d'un entretien, sur son parcours professionnel, mais aussi et surtout sur ses projets futurs... L'Expression: Vous avez fait de grandes écoles de musique en Tunisie et en France, pouvez-vous nous retracer brièvement votre parcours professionnel? Samir Ferjani: En 1988, j'ai commencé mes études en musique arabe. Je jouais principalement du nay. Pendant presque dix ans, j'ai eu à découvrir la musique traditionnelle folklorique tunisienne.Par la suite, l'envie de découvrir le monde, de partir ailleurs, m'a amené à étudier la musique classique en France. J'ai bénéficié d'une bourse du gouvernement français et j'ai résidé à la Cité des Arts à Paris, comme musicien tunisien, j'ai fait l'Ecole normale de musique de Paris. Au cours de cette période, j'ai suivi des cours de musique classique et appris à jouer de la flûte traversière... J'ai fait beaucoup de rencontres à Paris. Pour moi, la musique n'est pas un objectif en soi: je ne fais pas la musique juste pour faire de la musique. C'est bien plus que cela. La musique pour moi est un passeport, un moyen de rencontres...un langage universel. Mais je me rends compte aujourd'hui que les problèmes relatifs à l'identité touchent même le domaine de la musique. C'est l'objet de mon master d'ailleurs, en ethnomusicologie. Ces faux problèmes d'identité donnent lieu à de nombreux débats. La musique est une échappatoire, elle m'a permis de voyager. Je fais de la musique traditionnelle et de la musique moderne. J'ai travaillé longtemps avec un groupe suisse qui joue du jazz. Nous sommes partis en Egypte, en Grèce, en Espagne et au Maroc pour des tournées. On communiquait très bien, il n'y avait pas de barrière entre nous, c'est un peu cela la magie de la musique. Ensemble, on a composé trois albums et la musique d'un film. Au cours de cette expérience, j'ai beaucoup plus apprécié le dialogue, l'interaction entre les membres du groupe et nos différentes cultures que la musique en elle-même. Vous avez eu l'occasion de jouer dans de très grands concerts et avec de grands musiciens au sud comme au nord de la Méditerranée, quel souvenir en gardez- vous et qu'avez-vous appris avec eux? C'était des expériences fort enrichissantes. On apprend forcément beaucoup de choses en jouant avec Mansour Rahbani, Marcel Khalifa, Ali Hadjar... Ce sont des gens qui ont laissé leur empreinte dans le monde de la musique. Ils ont une très grande influence. C'est le cas d'ailleurs du maestro mexicain que j'ai rencontré. Personnellement, j'aime ce mélange entre les différents genres de musique Il n'est pas toujours aisé de croiser sur son chemin ces grands artistes. Comment cela s'est passé pour vous? J'ai eu beaucoup de chance, et puis, je ne dis jamais «non» quand il s'agit de musique. Le plus souvent, on m'appelle; en Tunisie, les flûtistes n'étaient pas très nombreux à l'époque. On était deux au début, donc on faisait forcément appel à moi pour jouer avec des groupes en Tunisie et ailleurs. Il y a aussi les rencontres que j'ai faites pendant mes études, que ce soit à Tunis ou à Paris. Avec Marcel Khalifa, on a répété pendant plus d'un mois. Son flûtiste, Bessam, n'était pas venu avec lui pour des raisons familiales, donc je l'ai remplacé. Juste avant la tournée, Bessam est revenu, mais je suis resté quand même: on a joué une pièce chacun, c'était en 1990. Lors d'un concert, vous avez combiné de la musique de Beethoven avec des airs du mazmoum (mode musical tunisien). Pouvez-vous nous parler un peu de cette expérience? Il ne faut pas sacraliser la musique classique et la mettre dans des cercueils. Je crois que le musicien est libre. Personnellement, j'apprécie le mélange entre les différents modes musicaux. Même s'il s'agit de la musique de Beethoven ou de Mozart. C'est au festival de Ennejma Ezzahra, en Tunisie, qu'on a fait cette expérience: avec la musique tunisienne et la musique classique, on a fait des improvisations en musique tunisienne après, on a joué des oeu-vres classiques. Dans le spectacle que vous avez conçu avec Fabienne Bouvet, s'agit-il aussi d'un panachage de genres musicaux et d'une rencontre entre deux cultures? Effectivement, ce n'est pas la première fois qu'on présente ce spectacle, Une rencontre entre Orient et Occident. Avec Fabienne Bouvet, on a joué ensemble l'année dernière, aux Nuits des solistes de Sousse, un petit festival pour musique instrumentale. On a monté un spectacle ensemble, cela s'appelait Layla andaloussia, (une nuit andalouse). On a joué de nombreux morceaux qui rappellent l'Andalousie. Ces oeuvres sont écrites par des Andalous et par des latino-américains, qui ont eu une influence andalouse espagnole. C'était une vraie rencontre exceptionnelle. Ce spectacle nous fait rappeler l'ambiance de l'Andalousie, où on parlait d'amour, de poésie, de culture et de musique. Il y avait cette joie du vivre-ensemble, c'était un peuple très moderne, les Andalous. Moi, personnellement, ça me fait rêver, je pense même qu'il faut s'inspirer de ce modèle. Il faut aussi apprendre à relire Ibn Rushd, Ibn Zaydoun et Ibn Khaldoun. Les jeunes, en Algérie, et un peu partout au Maghreb, sont beaucoup plus branchés musique raï et rap. Selon vous, est-ce que la musique classique a vraiment un public en l'Afrique du Nord? Je pense que les choses commencent à changer. Au cours du 1er Festival culturel international de musique symphonique à Alger, j'ai vu qu'il y avait beaucoup de monde qui était venu assister aux concerts. Nombreux sont les jeunes qui s'intéressent à la musique classique aujourd'hui et à d'autres genres également. Ce qui est bien. J'ai des étudiants dont l'âge varie entre 18 et 25 ans, je leur ai conseillé d'écouter souvent d'autres sortes de musiques. Ça peut être vraiment enrichissant. Pouvez-vous nous parler de vos futurs projets? J'ai de nombreux concerts programmés en Tunisie et en Suisse. Je prépare actuellement une symphonie tunisienne qui n'a pas encore vu le jour, Carthage. Cependant, mon rêve est de créer un orchestre symphonique qui rassemblera les jeunes du Maghreb. C'est un grand projet. Pour le réaliser, il faut une réelle volonté politique et de l'argent surtout, donc, il faut attendre encore. Pour l'instant, nous faisons en sorte d'organiser des concerts ensemble, cela nous permettra de nous rencontrer.