Une action commune avec les manifestants autonomes de l'éducation est envisagée. Les praticiens de la santé publique portent-ils le deuil de leur profession? Hier, il régnait une ambiance d'enterrement à l'hôpital Mustapha-Pacha à Alger. Brassards noirs au bras, les blouses blanches ont observé un rassemblement silencieux devant l'entrée principale de l'édifice. Il est 11h00. Des centaines de médecins sont déjà sur les lieux. «Pour la sauvegarde du droit de grève», peut-on lire sur une banderole. Un autre slogan tout aussi significatif attire notre attention «Pour les libertés syndicales». Ces mots ont la résonance d'un sentiment d'exaspération qui rappelle les péripéties d'une contestation qui dure depuis quatre mois. Une demi-heure vient de s'écouler. Les médecins se rassemblent. Ils forment des carrés. Chaque carré représente une wilaya. Ils sont venus de Mostaganem, Tlemcen, Mascara, Oran, Relizane et Sidi Bel Abbès, l'ouest du pays est fortement représenté. Le vent de contestation a également gagné les villes de l'Est. En témoignent ces praticiens représentants d'El Khroub, Annaba et Constantine. Les villes des Hauts-Plateaux et du Sud ne sont pas en reste. C'est le cas, notamment, de Djelfa, M'sila et Ghardaïa. Cela dit, les villes du Centre constituent le coeur battant de la manifestation. La procession prend forme. «Statut refusé», lit-on sur des affiches que brandissent les médecins. La marche est lente. Un silence lourd s'installe. «Cette marche dénonce la mise à mort du secteur public de la santé», explique le Dr Idir, médecin spécialiste à l'hôpital de Zéralda. «Nous demandons à Saïd Barkat (le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière) de revenir à son statut de médecin. Nous lui demandons d'ouvrir un vrai dialogue pour une sortie de crise réelle», reprend, de son côté, le Dr Nadia Senhab, venue de Blida. Les manifestants progressent. Nous arrivons à l'entrée principale de l'hôpital. Un impressionnant cordon de sécurité est mis en place. Des unités de la police antiémeute, des flics en civil...l'entrée est «filtrée». «Je peux sortir par là?», demande un adolescent à un flic. «Non! Il y a une entrée réservée pour le passage», lui rétorque ce dernier. Les manifestants sont surveillés comme du lait sur le feu. Ces derniers s'assoient par terre. Ce geste symbolise la situation précaire du secteur de la santé. Les médecins affichent des mines tristes, mais la détermination est intacte. «Notre mouvement de contestation continue tant que notre plate-forme de revendications n'est pas satisfaite», lance le Dr Yousfi, président du Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (Snpssp). Le verbe tranchant, ce dernier dénonce l'arsenal répressif auquel ils font face. «Des ponctions sur salaires sont appliquées depuis le mois de janvier dernier. Aussi, des mises en demeure ont été envoyées aux praticiens», dénonce-t-il. Le Dr Yousfi a mis en exergue l'illégalité de ce procédé. «En vertu de la loi, ces mises en demeure devaient être envoyées aux domiciles des concernés. Or, ces derniers les ont reçues à leurs lieux de travail», explique le président du Snpssp. «Encore une fois, le ministère vient de transgresser les lois de la République», déplore l'orateur. Sur sa lancée, le Dr Yousfi a rejeté d'un revers de la main les accusations de Saïd Barkat. «Il nous accuse de délaisser le secteur public pour aller travailler dans le privé. M.Barkat connaît parfaitement les médecins qui versent dans l'activité complémentaire», fulmine-t-il. Et le Dr Yousfi de lancer un défi au ministre. «Chiche! qu'il applique la réglementation en vigueur contre ces médecins qui sucent le sang des malades.» Même son de cloche chez le Dr Lyès Merabet, président du Syndicat national des praticiens de la santé publique (Snpsp). «A travers notre manifestation, c'est le secteur public que nous défendons. Il y va de la santé du citoyen et de l'intérêt du pays», souligne le Dr Merabet. «Le droit de grève et les libertés syndicales font partie des libertés collectives», renchérit l'intervenant. En ce sens, il annonce que l'Intersyndicale maintient des contacts permanents avec d'autres secteurs, notamment ceux de l'éducation. «Nous sommes en contact avec l'Union nationale des personnels de l'éducation et de la formation (Unpef) et le Conseil national des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (Cnapest)», précise le président du Snpsp. Selon ce dernier, l'éventualité d'une action syndicale commune n'est pas à écarter. Cela dit, l'Intersyndicale de la santé tiendra une réunion durant cette semaine pour évaluer la situation. Ainsi, une feuille de route des rassemblements sera arrêtée. Sur ce plan, le Snpsp et le Snpssp n'excluent pas la possibilité de reprendre la grève. Le rassemblement d'hier a pris fin dans un silence qui donne froid dans le dos.