Cette institution garde toujours son statut avant-gardiste. Dès les premières heures de la journée, les allées et les places grouillent d'étudiants. Des cours et des TD dispatchés anarchiquement sur un emploi du temps sporadique. Les filles visiblement plus nombreuses que les garçons. Résultant d'un calcul qui s'échappe de l'équation baccalauréat. Les habits à l'air du temps. Un temps qui s'accordent nonchalamment aux pendules occidentale et orientale. A midi, les foules se concentrent devant les portes métalliques et blafardes des restaurants. Dans la bibliothèque, le silence des étudiants affronte désespérément le bruit des engins des chantiers environnants. L'université Mouloud-Mammeri, trente ans après le Printemps berbère. Les conversations avec les étudiants révèleront que l'enceinte demeure toujours un foyer de contestations diverses. «Nous ne sommes pas du genre à se laisser faire. L'administration doit se plier à notre volonté. Les grèves sont notre meilleur arme», dira Samir, étudiant en droit. En effet, l'université Mouloud- Mammeri est réputée pour le nombre impressionnant de journées de grève durant l'année. Mais, qu'en est-il de la revendication amazighe et de l'activité politique? Aujourd'hui, malgré la différence dans les modes de vie et de pensée, les étudiants de l'université de Tizi Ouzou ne lâchent pas le flambeau des luttes menées par les anciens. Empreint de désenchantement, de déceptions, d'espoir, de victoires et de méfiance, le regard sur le passé de leur université reste constant et résolument tourné vers le futur. «Les anciens, qui ont lutté pour tamazight, je les respecte et je les critique.» Hamid parlait des divergences de vues qui ont émaillé le parcours des acteurs du mouvement berbère des années quatre-vingt. En fait, les étudiants n'ont pas rompu avec les revendications de leurs prédécesseurs. «Avant, il n'y avait pas ce département de langue amazighe ici». Karim, étudiant de langue française, évoquait les acquis. Nous l'avons accosté devant le bâtiment des langues étrangères jouxtant celui de langue amazighe de l'université de Tizi Ouzou. Rosa, étudiante en tamazigh, dit ne pas broncher. Les divergences politiques, pour elle, désorientent les étudiants qui portent dans leur coeur la culture berbère. «Je ne comprends rien, tous se disent lutter pour l'émancipation de la culture amazighe et tous s'affrontent en même temps, je n'ai rien compris», s'interroge-t-elle. Au niveau du resto, notre question a soulevé un grand débat. Nous avons en fait, essayé de savoir ce que pensent quelques étudiants du rôle actuel de l'université dans le champ politique et culturel. «Aujourd'hui, nous vivons difficilement dans les campus, les problèmes quotidiens nous éloignent des autres questions», expliquait un étudiant. «Moi, je ne sais plus qui a raison et qui a tort. Pour s'insérer dans les comités, il faut être d'un parti ou d'un autre. Moi, la politique, ça ne m'intéresse pas», l'interrompt un autre. «Mais, c'est quoi le militantisme, alors?», l'interroge son ami. Enfin, à travers des discussions avec les étudiants, il s'avère que l'université demeure encore un foyer pour le savoir et divers militantismes. Malgré les problèmes, cette institution n'a pas perdu son statut avant-gardiste. Ce qui a changé, en fait, ce sont les générations, les méthodes d'approche des questions identitaires, politiques. Ce qui explique, en partie, la déconnexion des partis politiques algériens du mouvement estudiantin. Ceux qui croient pouvoir y faire le plein pour leurs diverses idéologies, risquent de n'avoir, dans leur musette, que du vent. Le Printemps berbère demeure toujours un phare.