C'est un rituel qui existe depuis soixante-quatre ans. Des générations de mordus du quatrième art s'étaient succédé durant tout ce temps pour se donner rendez-vous, derrière les remparts de la cité des Papes, dans le sud de la France, à quelques encablures de la Méditerranée toute proche. Pour mémoire, cette gigantesque manifestation n'aura vu le jour qu'à la suite d'une rencontre entre le poète René Char et le metteur en scène Jean Vilar. De leurs échanges naquit en septembre 1947, la «première semaine d'Art en Avignon». Vilar proposa alors trois pièces dont La tragédie du roi Richard II (Shakespeare) avec Vilar dont le rôle-titre est une jeune débutante de dix-neuf ans... Jeanne Moreau. La Cour d'Honneur, un espace à l'intérieur d'un château, (devenue fameuse depuis) accueillera cet événement qui «adoptera», dès 1952, un autre prodige des planches, Gérard Philipe...Vilar, tout-puissant patron du Théâtre national parisien, devint la référence avignonnaise, y revenant chaque année, depuis, avec une véritable troupe dans laquelle on trouvera, outre Philipe G., Alain Cuny, Maria Casarès, Michel Bouquet, etc. En 1954, la manifestation prit et pour toujours, son appellation actuelle: «Festival d'Avignon.» Un label qui, depuis, fait rêver la plupart des compagnies de théâtre...Avignon devient alors synonyme de décentralisation théâtrale. «Dans le courant de l'éducation populaire, mouvements de jeunesse et réseaux laïques participent au renouveau militant du théâtre et de son public, invité à participer à des lectures et des débats sur l'art dramatique, les nouvelles formes de mise en scène, les politiques culturelles», signale à ce sujet la presse hexagonale. Le succès populaire est tel, que la durée fut prolongée, un mois, dès 1966 et un autre volet le «Off» (par opposition au «IN» existant) est créé par un artiste connu pour son engagement, André Benedetto. Ce «festival non officiel et indépendant», va pousser Vilar à sortir de la Cour Carrée et à s'éparpiller jusque dans des lieux désaffectés, d'ancien cloîtres par exemple, qu'il fera revivre de fort belle manière. Aujourd'hui, le festival essaime sur une vingtaine de sites aménagés pour la circonstance (écoles, chapelles, gymnases, etc.). Bendetto est parti, en juillet dernier, en plein festival laissant son «Off» plus bouillonnant que jamais... En 2009, 825 compagnies ont présenté 980 spectacles englobant différentes formes de spectacle vivant (théâtre, théâtre musical, danse, café-théâtre, marionnettes, conte, mime, concerts)...Les rues de cette ville du Vaucluse se transformant alors en véritable ruche humaine aux nectars multiples. Et pour cette année, 2010 et selon Hortense Archambault et Vincent Baudriller, le tandem-directeur, qui en est à sa septième édition, les sucs proposés seront aussi variés que prometteurs. D'abord, avec le travail des deux artistes associés, l'écrivain Olivier Cadiot et le metteur en scène Christoph Marthaler (en 2009, c'était le tour du Libanais Wajdi Moawad) qui présenteront Papperlapapp. Du côté de l'Afrique, c'est une troupe d'acrobates de Tanger qui sera mise en scène par les Helvètes Zimmermam & De Perrot dans Chouf Ouchouf, elle sera rejointe par la création du Congolais Faustin Linyekula qui débarquera de Kinshasa avec son spectacle de danse contemporaine, inspirée de Bérénice de Racine «reine de Palestine rejetée par Rome en raison du sang d'Orient qui coule dans ses veines»...Sinon, on annonce entre autres Baal de Brecht par François Orsoni, un Procès (Kafka) du Munichois Krienkenburg, sans compter le merveilleux texte de Robert Musil L'Homme sans qualités monté par le Hollandais Guy Cassiers. Et pour se souvenir aussi des femmes violentées de Hassi Messaoud, (en juillet 2001 et...en avril 2010!), on guettera le spectacle de l'Espagnole Angelica Lidell, autour de ce thème brûlant La Maison de la force. Lidell s'était distinguée auparavant, avec Et les poissons partirent combattre les hommes qui parlent du drame des harraga qui échouent au large de Gibraltar. Mais du 7 au 27 juillet prochain, il y aura aussi à Avignon un rendez-vous avec d'autres noms de la scène aussi prestigieux qu'Anne Teresa de Keersmacker, Alain Platel, Josef Nadj, Gisèle Vienne. Le Liban qui a occupé une grande place l'an passé, sera aussi présent avec le travail du couple de cinéastes Joana Hadjithomas et Khalil Joreige qui n'avaient laissé indifférent aucun visiteur venu se ressourcer dans cette église désaffectée, convertie en lieu de spectacle et de mémoire, en l'occurrence ici. «Tels des oasis dans le désert», racontaient en vidéo et en photos le Liban, ces «instants de vérité», (selon les mots d'Hanna Arendt) surtout celles qui ont été enregistrées dans le camp de Khiam où s'étaient retrouvés communistes, islamistes, sunnites, chiites (etc.) prisonniers à la merci de leurs geôliers israéliens. Un moment fort.