Décousus, incohérents, ces «moments de théâtre» étaient même parfois incompréhensibles. Deux hommes apparaissent soudainement sur scène. Ni musique, ni dialogue, ni même un lever de rideau ne l'annonce, pourtant c'était bel et bien le début de Lahadat masrah (Des moments de théâtre) la pièce représentant le Théâtre régional de Guelma au Festival national du théâtre professionnel. Jouée, samedi soir, au Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi, Lahadat masrah est une adaptation du roman posthume de Jacques Roumain, Gouverneurs de la rosée. Ecrit en 1944, cet ouvrage est un texte classique de la littérature haïtienne. Il s'agit d'une histoire des plus ordinaires. Un jeune homme part à Cuba pour travailler. Quinze ans après, il décide de retourner chez lui. Il retrouvera son village otage des querelles tribales et dévasté par la sécheresse. Il tombe amoureux d'une fille du clan rival. Dès lors, ce personnage va s'échiner à ressouder les deux tribus et réconcilier ainsi les deux parties du village. Mais leur terre est aride et sèche, il part donc à la recherche d'une source. Gouverneurs de la rosée est un texte très engagé politiquement. Son héros est un personnage plutôt pacifiste qui tentera, tant bien que mal, de solutionner le conflit qui sévit depuis quelque temps dans son village et de rapprocher les deux parties de la communauté. L'auteur accorde, à travers ce roman, une grande importance à la collectivité... à la communauté. Il y a aussi cette notion de l'amour comme étant une solution à toute sorte de problèmes qu'on pourrait rencontrer dans la vie. Gouverneurs de la rosée est avant tout un roman d'amour de la terre...un hymne à l'espoir. «Tu es fort», dira la jeune fille dont le héros est tombé amoureux. «Non, je suis croyant, je crois en l'homme... les hommes ne meurent jamais», réplique-t-il. Si l'histoire de Roumain est simple et même ordinaire, on ne pourrait en dire autant de Lahadat masrah, mise en scène par Ben Ahcène Haïder. Celle-ci est plutôt constituée de quelques extraits de la pièce adaptée du roman de Jacques Roumain. Le metteur en scène a ainsi procédé à une sorte de montage de ces extraits qui constitue Lahadat masrah. Des extraits entrecoupés par des hommages aux grands comédiens, auteurs et dramaturge algériens. D'ailleurs, le spectateur arrive à peine à reconstruire l'histoire de Gouverneurs de la rosée à travers les bribes de discours des comédiens. «On a d'abord adapté Gouverneurs de la rosée. Par la suite, on a monté quelques extraits de cette adaptation. Gouverneurs de la rosée n'est en fait qu'à l'origine de ce spectacle. Dans Lahadat masrah, on voit des comédiens en train de construire leur personnage, du coup, la justesse du jeu n'avait pas beaucoup d'importance, c'est l'atmosphère que j'essayais de reconstituer», dira le metteur en scène. En effet, avec Lahadat marsrah, Haïder nous fait entrer dans les coulisses du théâtre ou dans une sorte de laboratoire de recherche. Des comédiens en train de répéter la pièce et non de la jouer réellement. On est dans le théâtre expérimental, un théâtre d'atelier qui n'est finalement pas destiné au grand public mais plutôt aux comédiens en cours de formation.