L'histoire a fini par rattraper le Guide de la Révolution libyenne sur la question des droits de l'homme. «Ou bien on vous respecte ici en Europe et vous jouissez des mêmes droits et devoirs que les Européens, ou bien vous rentrez en Afrique. Je vous affirme que je suis concerné par votre situation et que je vais mettre au point un plan pour permettre votre retour en Afrique.» C'est ainsi que s'était adressé aux immigrés originaires d'Afrique, le chef de l'Etat libyen, lors de son séjour de 5 jours dans l'Hexagone à la fin de l'année 2007. Ils ignoraient qu'une année et demie plus tard, près d'une vingtaine de leurs compatriotes installés en Libye allaient passer de vie à trépas sur simple décision de la justice de la Jamahirya. L'enfer n'est ni à Paris ni en Europe mais bel et bien chez ceux qui promettent le Paradis! Dix-huit condamnés à mort, des ressortissants étrangers originaires d'Egypte, du Tchad, du Nigeria et du Niger ont été exécutés par balles le 30 mai 2010. L'information a été rendue publique par un média proche du pouvoir libyen. Quatorze ont été exécutés à Tripoli et les quatre autres à Benghazi, la seconde ville du pays. Leur crime? Ils ont été reconnus coupables de meurtre prémédité. Selon le journal en ligne «Qurina», réputé proche de Seif el Islam, l'un des fils du chef de l'Etat libyen, quelque deux cents détenus convaincus de meurtre patientent dans les couloirs de la mort. Ce qui décrédibilise complètement le classement effectué par Global Peace qui concerne les pays les moins sûrs dans le monde arabe. La Libye pointe à la 61e position, loin devant l'Algérie à la 112e place, qui n'a pourtant plus procédé à aucune condamnation à mort depuis 1993. Au mois de décembre 2007, lors de sa visite d'Etat en France, le colonel libyen avait fait la leçon aux gouvernements européens sur la question du respect des droits de l'homme en général et des immigrés en particulier, dans un discours prononcé dans le grand amphithéâtre du siège de l'Unesco à Paris, devant un parterre composé en majorité d'Africains. Ironie du sort, l'histoire a fini par rattraper le Guide de la Révolution libyenne. «Nous sommes dans le pays qui parle des droits de l'homme. Y a-t-il certains de vos droits qui ne sont pas appliqués?», s'est-il interrogé devant une salle comble entièrement acquise à la cause. «Nous sommes l'objet d'injustices. Notre continent a été colonisé, nous avons été réduits en esclavage, déplacés dans des navires comme du bétail. Aujourd'hui, nous travaillons dans le bâtiment, dans la construction de routes... Après tout cela, nous sommes envoyés dans les banlieues et nos droits sont violés par les forces de police», s'était insurgé à l'époque le chef de la Jamahirya libyenne pour dénoncer les injustices vécues par les immigrés en France et dans les autres pays d'Europe. Et pour cela il fallait faire référence à l'histoire. Jouer sur la fibre identitaire. L'assistance ne pouvait qu'y adhérer. Mouamar El Gueddafi, qui s'est métamorphosé en «champion» des droits de l'homme l'espace d'un discours, fortement imprégné de démagogie, avait même trouvé des circonstances atténuantes aux violences qui pouvaient résulter de situations d'injustice. «Les Africains immigrés sont considérés comme des marginaux, des nécessiteux. Ils expriment leur colère parfois par la violence, allument des incendies. Je réprouve la violence, mais ceux qui expriment leur mécontentement vivent des situations difficiles en Europe, cela mérite qu'on y réfléchisse.» Et au dirigeant libyen d'enflammer à nouveau la salle. El Gueddafi se voit un destin messianique. Il s'impose, notamment en «sauveur» du continent noir. «Je suis un soldat de l'Afrique et je vais m'employer à vous aider et à vous soutenir... Nous ne vous laisserons pas tomber», avait promis le colonel El Gueddafi, qui arborait ce jour-là un badge vert représentant la carte du continent africain. Juste pour la galerie probablement. «Les Africains doivent vivre dans la dignité et le respect ou bien rentrer en Afrique. L'Afrique a besoin de vous. Si l'Europe ne veut pas de vous, vous rentrerez en Afrique.» Il fallait être dupe pour croire à un tel discours. En tous les cas, ceux qui croupissent dans les geôles libyennes l'ont appris à leurs dépens. Quant à ceux qui ont été exécutés, c'est certainement la faute à «pas de chance». En plus d'être nés dans les pays les plus pauvres de la planète, ils sont poussés à fuir l'instabilité politique et la famine pour un meilleur ailleurs. Leur rêve s'est transformé en cauchemar. C'est le destin tragique réservé aux enfants d'Afrique.