Le puissant lobby libanais a évacué tout ce qui est maghrébin. La chaîne France 24 arabe serait-elle devenue une chaîne libanaise? C'est la question que l'on se pose lorsqu'on voit la couverture consacrée à la mort de Fadlallah, le chef spirituel des chiites libanais, décédé dimanche à Beyrouth à l'âge de 74 ans. Mais le plus grand problème de la chaîne française, c'est le conflit interne entre la direction libanaise et quelques journalistes algériens, qui mine la chaîne, qui bloque pour le moment le recrutement et qui freine son développement par rapport à sa version française et anglaise. L'énorme décalage entre les objectifs annoncés par France 24 et la prestation de sa chaîne arabe s'est fait sentir de manière spectaculaire ces derniers temps. Pendant que le gouvernement français «tombe en pièces», mettant en évidence un véritable duel politique entre la gauche et la droite françaises, France 24 arabe s'enlise dans un débat libano-libanais ennuyeux et sans grande valeur journalistique. Il faut rappeler que cette chaîne, lancée par l'ancien locataire de l'Elysée, Jacques Chirac, en 2006, ciblait les décideurs dans les zones dites sous influence française. Aujourd'hui, la chaîne arrive même à attirer de nouveaux téléspectateurs grâce à son canal anglophone. Mais la chaîne arabe peine à trouver ses marques en raison d'un monopole levantin exercé aussi bien sur la ligne éditoriale que sur le personnel. Les personnalités politiques libanaises défilent sur l'antenne arabe comme si elle leur appartenait. En revanche, on ne voit presque jamais d'interviews avec des personnalités politiques maghrébines. La direction arabe a recruté des journalistes libanais parachutés comme présentateurs sans aucune expérience dans le domaine de la présentation des journaux télévisés. Un seul rédacteur en chef algérien a tenté l'expérience, Abdelkader Djerridi (actuellement à Abou Dhabi), mais remercié par la directrice de l'antenne arabe, Nahida Nakad (journaliste libanaise et ancienne reporter à TF1) au terme de quelques semaines d'essai seulement. Elle avait remis en cause son traitement d'une information relative à l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri. Au sein de la rédaction arabe, le malaise est réel. Plusieurs journalistes pigistes maghrébins n'arrivent pas à décrocher un contrat sous prétexte qu'ils sont faibles. Nahida Nakad, également directrice de la station radio Monte Carlo Doualya, a remercié au moins trois Algériens de RMC pour nommer une Libanaise, Mouna Al Banna, en tant que rédactrice en chef. Une journaliste qui connaît pourtant bien les Algériens, puisqu'elle avait souvent couvert le Festival du film arabe d'Oran. France 24 arabe a vu arriver récemment un rédacteur en chef tunisien, Mansour Tiss, et un autre marocain, Youcef Tsour Ben Tsouri. Aucun Algérien! Les principaux responsables d'édition de France 24 arabe sont tous libanais: Eva Hachem, Imad Al-Atrach et Michel Kik. Celui-ci est présenté comme une victime du nettoyage idéologique d'Al Jazeera. Mais en vérité, il a été viré par la chaîne qatarie (il était responsable du bureau parisien) pour mauvaise gestion, notamment financière. Nahida Nakad, qui est d'origine druze, offre souvent la part belle à Walid Djoumblat. Une audience que n'aurait pu espérer le chef de la communauté druze sur une télévision libanaise. De plus, les couvertures Liban bénéficient d'un grand investissement alors que la chaîne traverse une véritable crise financière qui l'empêche même de recourir à des moyens satellitaires professionnels. La directrice libanaise de France 24 arabe bénéficie pour le moment du soutien de Catherine Ockrent, directrice générale de l'AEF (Audiovisuel extérieur de la France) et surtout de l'épouse du chef de la diplomatie française. La chaîne passera à 24 heures de diffusion à la rentrée. Le moment est peut-être venu de se poser les bonnes questions sur son positionnement stratégique. Sera-t-elle une chaîne française arabophone ou une nouvelle chaîne libanaise, véhiculant les mêmes contentieux qui minent le Proche et le Moyen-Orient depuis des décennies?