Que nous apportent les livres sinon la certitude de ce que nous sommes ou de ce que nous ne sommes pas? C'est bien vrai et c'est pourquoi, curieux que nous sommes, nous...lisons. Cela étonne du moment que beaucoup affirment que nous ne lisons pas...beaucoup. Nous avons tous pris plus d'un en flagrant délit de lecture, plus d'un en flagrant délit d'impuissance de lire. Effectivement, nous ne choisissons pas nos lectures. Nous faisons semblant de choisir et c'est plutôt en nous fondant sur ce qu'en disent certains qui, eux aussi, ont été influencés par ce qu'en pensent les autres, - la chaîne est longue. Le pouvoir catalogué décide le lecteur de bonne foi. La radio, la télévision, la presse orientent vers le livre de l'auteur «choisi». Le livre est acheté, mais est-il lu? Il est une tribu d'éditeurs comme il est une tribu d'auteurs, comme il est une tribu de distributeurs, comme il est une tribu de lecteurs, sauf que cette dernière tribu ne tient qu'à sa bonne réputation, qu'«à augmenter son petit moi» où se forment ses «liseurs avertis». Mais il est d'autre part tout aussi vrai que «L'écrivain souhaite des lecteurs qui lui ressemblent et lui soient tout juste inférieurs: à son image, mais plus naïfs (Jean Rostand).» ANZA de Abderrahmane Bouguermouh, Casbah Editions, Alger, 2009, 477 pages. «Le cri» que l'on devrait écouter nous enseigne plus que le son du Cor, le soir, au fond des bois. Quand la poésie n'assume pas son projet, elle charme et navre à la fois. Vigny et Verlaine ne savaient évidemment pas, la souffrance humaine, je veux dire la souffrance hors romantisme, hors symbolisme, la souffrance tout court de la conscience tout court. On pourrait épiloguer longuement sur cette réflexion générale et de bon principe, mais si l'on évoquait le 8 mai 1945, on verrait les images déchirantes de Chefou, le personnage phare dans le roman Anza (*) de Abderrahmane Bouguermouh. Elles sont tragiquement bien «belles» et multiformes aussi ces images de ce 8 mai 1945 «en sa belle journée!», «en son beau crépuscule!», «en sa belle nuit!», «en sa douce nuit!» Et l'on comprendrait, avec toute l'émotion de ses entrailles, le geste de Chefou qui rend «au vent de la civilisation», le «livre de Cassino» et combien mûrit en lui cette dernière image: «Imperturbable, il n'écoute plus personne, il va partir. Une fois encore, il prend le chemin de Amar le dur, il suit malgré lui sa conscience.» Un film bien construit pour un roman inspiré par l'histoire: le cinéaste Bouguermouh devient un romancier, c'est-à-dire «un historien qui ne se voit pas»... À Paris, des émigrés et pionniers du nationalisme algérien mesurent en silence l'ampleur du malheur qui frappe encore et toujours le pays, et qui massacre «à Sétif, Guelma, et ailleurs certainement». L'autre compagnon d'infortune, l'Algérien Bozar s'imagine la tragédie et «parle et parle»: il vient chercher Chefou qu'il faudrait «cacher, car quand la répression commence rien ne l'arrête.» Et il dit vrai! La damnation du peuple algérien du fait du colonialisme n'est plus un état fortuit, - 132 ans de colonialisme, ne l'ont-ils pas assez prouvée? CHRONIQUES DES ANNEES DE GUERRE EN WILAYA III (Kabylie, 1956-1962) par Djoudi Attoumi, Editions Rym, Béjaïa, 2009, 400 pages. Une mémoire forte pour des histoires légendaires. Dans un fait daté, à quoi tient-il qu'un «témoin» - et plus encore -, qu'un «acteur» soit irrévocablement un élément déformant de la Vérité? Evidemment, la réponse appelle un développement et des arguments sérieux. Et comme il y a bien des manières d'écrire l'histoire et que la tâche est immense et complexe, de nos jours, des chercheurs se regroupent en équipes pour circonscrire l'élément déformant de la Vérité. Aussi suis-je heureux que, dans le tome1 «Crimes sans châtiments» de son ouvrage général Chroniques des années de guerre en Wilaya III, (Kabylie), 1956-1962 (*), Djoudi Attoumi borne son ambition: «Témoigner sur l'histoire de la guerre de libération nationale est un labeur difficile et non sans embûches [...]. En effet, écrire, c'est transmettre aux autres ce que l'on sait, ce que l'on a vécu, ce qu'ont subi les Moudjahidin et les populations tout au long de cette terrible guerre [...]. Il y a tellement de faits qui reviennent peu à peu et dont on se rappelle à peine, comme cachés dans des cases, qu'il faudrait investir les unes après les autres pour les retrouver, les faire sortir et enfin les faire parler.» Le moudjahid Djoudi Attoumi nous offre, et davantage à la jeunesse, et davantage encore aux chercheurs universitaires en Histoire, des éléments justificatifs forts, des situations étonnantes, des photos rares, le tout constituant une documentation riche, émouvante et réussie. Sa mémoire demeure vive et libre à chaque page. Tant il est vrai que la mémoire exige une morale personnelle saine et, sa valeur la plus belle, une vertu entière; je veux dire la vertu véritable, celle qui exprime son efficience par sa seule force qui est elle-même mue par la rectitude de la volonté et l'ardeur du courage, volonté et courage qui se dévouent à une valeur qui dépasse l'individu, et ici la patrie algérienne. FLEUR BLEUE de Farida Belkhiri, Editions Alpha, Alger, 2009, 77 pages. Fleur bleue m'attire comme un insecte humain qui, lui seul, sait délicatement s'approcher d'une jolie fleur et la sentir. Ici l'absurde a totalement capitulé pour aller courir ailleurs dans les champs livrés aux chardons et aux orties. Avec Fleur bleue, Farida Belkhiri propose un conte fantastique aussi bien à la jeunesse qu'aux grands adultes. «Il était une fois une jolie fleur bleue qui rêvait de se transformer en une statue de glace.» Oh! la petite espiègle qui «refusait de connaître le même sort que ses soeurs, les autres fleurs»! Mais qu'à cela ne tienne, si elle vit pourtant sur une magnifique planète que l'on appelle «Soleil»! Apprenant la mort de sa soeur Rose, et toute pleine de tristesse, elle demande à Mère Soleil, la reine Rose d'Or, la permission de se «rendre sur la planète Terre et de finir ses jours là-bas». Le motif qui suscite ses craintes, est de perdre sa beauté et mourir «fanée» à son tour comme sa soeur. Elle prétend qu'en se transformant en statue de glace, elle serait immortelle. Devant l'obstination de la jeune fleur bleue, Mère Soleil - bien que contrariée, mais pleine de bonté - n'ose refuser de la satisfaire; elle mande Feu-de-Vent, une des ses étoiles filantes, et lui commande d'obéir à la jeune habitante. Feu-de-Vent conduit Fleur bleue vers «l'une des plus belles régions neigeuses de la planète Terre»...