«Ôtez vos lunettes s'il vous plaît!», l'homme qui est devant nous s'exécute et passe le premier portail qu'empruntent obligatoirement tous les voyageurs en provenance de l'étranger. Nous sommes à l'aéroport Tunis-Carthage. «Je vais en Tunisie pour décompresser!» nous confie un Algérien rencontré dans l'avion. Il nous apprendra, au cours de la discussion, qu'il exerce une profession libérale et qu'il travaille et vit à Alger. Entendre, en plein automne, quelqu'un tenir ces propos ne peut que laisser songeur. On l'aurait mieux compris en juillet ou en août, en haute saison comme disent les voyagistes, mais là on est quelque peu perdu. On sait que la Tunisie est une destination touristique mondialement reconnue et appréciée. On sait aussi, ou du moins on croit savoir, qu'évoquer la Tunisie renvoie au tourisme et que le tourisme fait systématiquement penser à l'été. Eh bien, non! On ne comprendra mieux notre compagnon de voyage que plus tard. Après l'atterrissage et un petit séjour. «Ôtez vos lunettes s'il vous plaît!», l'homme qui est devant nous s'exécute et passe le premier portail qu'empruntent obligatoirement tous les voyageurs en provenance de l'étranger. Nous sommes à l'aéroport Tunis-Carthage. La voix est celle de la personne qui, face à nous, a l'oeil collé à la caméra thermique qui traque le fameux virus de la grippe A. Nous passons à notre tour et nous nous dirigeons vers les guichets des formalités de police. Le policier qui vérifie nos documents de voyage a cette curieuse question: «Quel est le prénom de votre père?». On répond mais on ne s'empêchera pas de lui demander les raisons d'une telle précision. «C'est pour éviter les homonymes. En Tunisie la filiation est mentionnée sur les documents mais pas en Algérie ni au Maroc. C'est pourquoi nous demandons tant aux Algériens qu'aux Marocains ce complément» nous précise l'agent. A bien y réfléchir, c'est vrai que la filiation permet d'éviter de confondre deux personnes portant un même nom et un même prénom, voire la même date de naissance. Il suffit de consulter l'annuaire téléphonique pour s'en convaincre. Pour les honnêtes gens qui n'ont rien à se reprocher c'est là un signe de sécurité supplémentaire rassurant. Dans le même temps on commence à mieux comprendre les propos de notre compatriote rencontré dans l'avion qui vient pour «décompresser». Car on ne badine pas avec la sécurité des biens et des personnes en Tunisie. C'est même, sinon la plus importante, l'une des premières clés de la réussite du tourisme dans ce pays. On le vérifiera à chaque instant que durera notre séjour. Tunis-ville, avenue Habib Bourguiba, il est 15 heures. Grande artère à double voie où des deux côtés de la chaussée se succèdent boutiques, bureaux et terrasses de cafés. Les gens vont, viennent. Les uns au pas pressé, d'autres plus nonchalants. On rencontre indistinctement des hommes, des femmes, des jeunes, des moins jeunes, des familles, mais tous évoluent dans un mouvement fluide et tranquille. A une terrasse, une jeune dame seule à déguster une glace attire notre attention. Elle a son téléphone portable posé à même la table. Pour être visible, il l'est. Surpris par tant d'insouciance nous nous attardons à fixer sa table en songeant au risque qu'elle prend si un pickpocket venait à passer. Il ne se passera rien. Après avoir réglé le garçon, la dame reprend son portable et quitte la table. En s'éloignant, nous la voyons composer un numéro avant de coller son téléphone à l'oreille et bavarder tout en marchant. Nous balayons du regard l'avenue à la recherche de présence policière qui expliquerait une telle quiétude, pas un képi à l'horizon. Si, si, là- bas, au fond, au carrefour, il y en a même deux. Ils sont très occupés à régler la circulation, sifflet à la bouche. Nous reprenons notre marche et pénétrons dans un centre commercial. Là aussi boutiques et points de restauration se succèdent. Là aussi, même quiétude que dehors. Une quiétude qui autorise beaucoup d'humour. Une pizzeria attire notre regard. A l'affiche des prix nous lisons: «Sandwich mahboul. Pain XL...». On rit de bon coeur. Un peu plus loin, une autre affiche devant l'entrée d'une boutique de vêtements: «Nous demandons à nos aimables clients de laisser leurs chariots devant l'entrée, merci!». Quelques chariots sont, en effet, alignés devant la porte de certaines boutiques. Ils sont pleins de provisions effectuées au supermarché implanté à l'intérieur du centre commercial. Point de propriétaires. Ils sont à l'intérieur de la boutique à choisir des vêtements. Point de gardiens non plus. On voit certains ressortir, reprendre leurs chariots et continuer à «lécher» les vitrines. Ahurissant! En scrutant les visages, nous nous rendons compte que nous sommes les seuls qu'une telle situation étonne. Nous sortons du centre commercial. A un moment de notre promenade, un bus accordéon à deux voitures passe. Encouragés par la disponibilité et la convivialité que nous avons décelé chez les Tunisiens, nous demandons à un passant si des bus accordéons à trois voitures existent en Tunisie comme chez nous en Algérie. «Non! Nous n'avons que Zina et Azziza, à deux voitures». C'est ainsi que les Tunisiens désignent ce genre de bus. Notre interlocuteur nous apprend que Zina et Aziza étaient deux soeurs, danseuses du ventre, très populaires en Tunisie. Le déhanchement du bus accordéon explique le reste. Quand on vous disait que les Tunisiens sont pleins d'humour et souriants. Il est toujours utile à un journaliste de prendre le pouls d'une société avant de commencer son programme de travail. C'est tellement instructif que le lendemain de notre promenade, au cours d'une conférence de presse du ministre tunisien de la Justice et des Droits de l'homme, M.Béchir Tekkari, nous comprenons toute la fierté affichée dans sa réponse à une question d'un confrère étranger. «Nous n'avons pas de délinquance urbaine!» a-t-il tranché. Oui, monsieur le ministre, nous en témoignons! Nous en témoignons si bien que maintenant nous comprenons mieux notre voisin de siège dans l'avion qui vient en Tunisie dès qu'il ressent le besoin de «décompresser». On allait oublier cette précision qu'il nous avait ajoutée. «Ya, Khouya (mon frère), le premier des droits de l'homme c'est sa sécurité!». En Tunisie ce droit existe. Les autres aussi. Nous en ferons état tour à tour. Notre séjour ne fait que commencer!