Les chouyoukh procurent de la joie et du plaisir aux mélomanes sans toucher le moindre «cachet». «Jetez la culture au peuple et elle sera prise en charge par ses adeptes» c'est le message fort que veulent transmettre ces derniers, les adeptes et partisans volontaires et bénévoles de la ville de Yemma Gouraya, en direction des autorités concernées qui ont la manie de confiner toute activité culturelle dans son cadre bureaucratique. Pour preuve, il suffit juste de jeter un coup d'oeil au programme officiel préparé avec l'argent des contribuables pour constater tout d'abord, sa morosité. Ensuite, il y a lieu de faire un tour à partir de 22h à l'ancien tribunal de Béjaïa où siège l'association Ennaciria, au café Boulouiza de la place Philippe, ou plutôt à l'esplanade de la cour de Sidi Soufi. Là, on pourra voir l'ambiance véritablement chaude des nuits ramadhanesques ou les mélomanes du genre chaâbi, de différentes générations, se retrouvent pour une qaâda typiquement béjaouie. En effet, rendues moroses par un programme des plus pauvres de l'histoire de la ville la plus culturelle de Yemma Gourauya, les soirées ramadhanesques ont trouvé refuge, loin de la bureaucratie administrative, chez les adeptes de la culture, en général et du chaâbi, en particulier qui ont pris le taureau par les cornes pour dire et lancer en direction des responsables locaux et ceux de la culture notamment, que «vouloir c'est pouvoir». Sans moyens ni aide. D'aucuns ne pensaient, avant l'entame du mois sacré, revoir ses qaâdates après la décision des responsables de la culture de fermer l'enceinte fétiche qu'est la Casbah en pleine saison estivale qui tire désormais à sa fin sans toutefois voir ses soi-disant travaux de restauration, raisons pour lesquels elle est fermé, entamés. Malgré cette énième épreuve, quant l'amour de la chose prend les commandes c'est toute la volonté qui s'installe pour faire un clin d'oeil au mercantilisme culturel. «Nous sommes bien là...Béjaïa retrouvera son chaâbi d'antan avec ou sans vos aides et contributions», semble dire ce groupe de volontaires et de bénévoles à l'intention des autorités locales et culturelles. Nous sommes à l'ancien tribunal de Béjaïa, un lieu jadis connu pour ses peines beaucoup plus que pour ses joies par ses sentences et autres verdicts rendus. La bâtisse abrite l'association Ennaciria qui a ouvert ses bras à Cheïkh El Hatta, Mouloud Bouchekoura en l'occurrence, un amoureux des kaâdates qui a su rendre avec l'aide de ladite association et les autres bénévoles jaloux de leur ville et partisans du patrimoine chaâbi, ce lieu attractif chaque soir après la prière des Taraouih. Il est 22h passées de quelques minutes, Cela fait un bon moment que la prière des Taraouih a pris fin, la scène mythique de la qaâda est fin prête pour recevoir le cheikh de la soirée et ses musiciens qui régalent les mélomanes sans toucher le moindre sou. Le vocabulaire relatif au cachet de l'artiste est désormais oublié à jamais «ici pas de cachet ni de paquet, place à l'art tout court. Le cachet est désormais livré par l'appréciation des mélomanes présent, c'est être ou ne pas être», nous lance cheikh El Hatta. Les mélomanes ont déjà pris place à l'intérieur, dans les différentes salles, comme à l'extérieur de l'établissement sur les escaliers ou à même le sol au bord jouxtant l'ancienne bâtisse. Le thé, le café et le qalb ellouz et autres friandises spécial Ramadhan sont déjà disponibles pour être servis à des prix presque symboliques. Mouloud, Cheikh El Hatta, nous guide pour nous faire découvrir de la braise dans d'une ancienne cheminé, où le thé est préparé. Le cheikh qui devait animer la qaâda, comme chaque soir depuis le début du mois de Ramadhan, a pris place et a déjà fini d'accorder ses différents instruments. Ils sont nombreux à se relayer sur la belle scène ornée à cet effet. L'enceinte a accueilli des interprètes du chaâbi locaux, tels Mourad Zidiri, Nacer Djebar, Kamel Benahmed, H'sinou Fadeli, Abdelkrim Nana d'une part, et d'autres invités et pas des moindres à l'exemple de Aziz El Annabi et Brahim El Bey de Annaba et Lamine Bourdib, le fils du grand maître du chaâbi, Kamel Bourdib. Cheikh Kamel Stambouli, dans son style ankaoui, a été le dernier à passer vendredi dernier. En somme une pléiades de cheikhs qui ont égayé les nuits de Yemma Gouraya, organisées par l'association Ennaciria. Cette association contre vents et marées, travaille bénévolement pour rendre au chaâbi son lustre d'antan et pour la sauvegarde et la promotion du patrimoine maghrébo-andalou. A ce titre, le président Djamel Ould Ali lance un appel aux autorités concernées sans toutefois omettre de les inviter à un bain de chaâbi chaque soir: «Nous ne pouvons plus continuer à travailler dans le bénévolat. Nous avons affiché nos ambitions et démontré notre savoir-faire et la balle est désormais dans le camp des décideurs, en général et des responsables de la culture, en particulier». C'est ainsi, que ça se passe chaque soir dans la ville de Yemma Gouraya rendue joyeuse par ses nuits de chant et musique chaâbi grâce à l'abnégation et au dévouement des chanteurs locaux et d'autres hôtes qui continuent à jouer par amour et attachement à leur art favori.