Le ministre de l'Intérieur aura bien de la chance s'il arrive à sortir indemne du «guêpier kabyle». Disons-le tout de suite: la sécurisation de l'élection législative du 30 mai dernier a été un ratage intégral. Les urnes ont été détournées, et la plupart des bureaux de vote ont été fermés dès neuf heures du matin, obligeant les rares électeurs assez audacieux à rebrousser chemin et à rentrer chez eux. Aujourd'hui, à vingt-quatre heures des élections locales, le problème se pose doublement, et avec une acuité qui risque de produire des dérapages dangereux. Si les législatives ont été caractérisées par une abstention massive en Kabylie, elles eurent au moins «droit» au consensus du duo FFS-RCD, hégémonique dans toute la région. Les locales de demain seront-elles inscrites sous le double signe du rejet des ârchs et du RCD d'un côté, et de leur possible confrontation directe avec les électeurs du FFS, de l'autre. En termes clairs, le risque sera multiplié par deux. L'arrivée en nombre important d'unités de CNS, venues de plusieurs wilayas limitrophes pour prêter main forte et sécuriser les trois wilayas (Tizi Ouzou, Béjaïa et Bouira), peut être un facteur de contrôle par les forces de sécurité de toutes les places, et donc du bon déroulement du scrutin, comme il peut prêter à des lectures restrictives, et devenir un (autre) prétexte d'embrasement le jour du scrutin. Dès leur arrivée à Tizi Ouzou et Béjaïa, les renforts de police et les brigades de gendarmerie, dépêchés elles aussi, «en appui», ont été reçus avec jets de pierre, sifflements hostiles et menaces. Aux responsables de ces structures de savoir gérer cette hostilité, dans le strict cadre de la rigueur de la loi, sans pour autant verser dans une démonstration de force, somme toute inutile. Il n'y a pas à dire: le ministre de l'Intérieur joue gros dans cette nouvelle épreuve, et il aura bien de la chance s'il sort indemne du «guêpier kabyle». Si l'échec du 30 mai a été minimisé par le fait qu'il s'agissait d'une représentation (Assem-blée nationale) qui n'avait pas d'impact direct et important sur la région, en revanche, la consultation de demain est à ce point importante pour attiser les passions. Car il s'agit bien de garantir une gestion légitime et légale de leurs propres cités par les élus locaux. Si dans le cas contraire, l'élection ne peut se tenir, il y a lieu d'imaginer une gestion des communes et, pendant cinq bonnes années, par des hommes qui n'auraient été ni élus ni choisis par la population. Pour les services de sécurité, il ne s'agit pas uniquement de gérer une situation explosive, le jour du scrutin, et qui reste, tout de même, «gérable» face à des jeunes encore tentés par la radicalisation, mais le danger pointe aussi du côté du Gspc. Hégémonique dans la région, bien «introduite» dans certains villages, cette organisation peut bien se manifester sous une forme ou une autre, et pendant la journée du scrutin. Le général de corps d'armée, Mohamed Lamari, mettait en garde, lors de sa conférence de presse organisée à l'Amia de Cherchell, contre le risque qu'encouraient les jeunes, tentés par l'attraction des faux barrages, qui pullulent aux quatre coins de la Kabylie. «Les forces de l'ordre tireront, d'abord, et vérifieront ensuite», qu'il s'agisse, de vrais terroristes, ou uniquement de mauvais plaisantins, avait-il laissé entendre en substance. Région de l'Algérie géographiquement, culturellement et linguistiquement délimitée, la Kabylie se prête à merveille à tous les jeux politiques et à toutes les tentations, a fortiori, lors des élections. A ses citoyens de savoir déjouer les manipulations qui s'y opèrent à visage découvert, et de mettre fin au spectacle affligeant dont ils sont les premiers à souffrir.