Hier matin, la ville des Genêts ressemblait à s'y méprendre un vendredi aux heures de prière. La rue Abane-Ramdane, la cité Cnep, la place du théâtre Kateb-Yacine et la nouvelle-ville offraient un triste spectacle presque moribond. Les commerces étaient pratiquement tous fermés, si ce ne sont quelques boulangeries ou pharmacies qui donnaient un peu de vie à une ville qui l'a perdue. Les rues de la ville des Genêts étaient presque désertes, sur les murs on pouvait voir les affiches de la Cadc appelant à une grève générale pour hier et aujourd'hui. Une sommation largement respectée. Ces mêmes affichent parlaient de «barricader les routes, attaquer l'APC, occuper les bureaux de vote...» ce qui présageait déjà d'une fin de semaine houleuse et violente. A la mi-journée, la ville était toujours calme. La circulation avait diminué, mais aucun incident n'était signalé. Soudain, une forte odeur de pneu brûlé. On parlait d'affrontements à la cité Cnep. Il est 12h30, arrivés sur place, nous remarquons effectivement qu'une dizaine de jeunes avait barricadé la route et commençait à attaquer l'APC à coups de pierres et de cocktails Molotov. Les services de police ne tarderont pas à arriver: cinq véhicules blindés Nissan, un fourgon et un véhicule anti-émeute avec, environ, une cinquantaine de CNS et autres de la police judiciaire dont certains cagoulés. Il est 13h 30, commencent alors les affrontements à distance à coups de grenades lacrymogènes, de pierres et «d'obscénités». De loin, on les voit. Leur silhouette se distingue, à peine, à travers le rideau de fumée s'élevant des pneus en flammes. Ce sont les émeutiers, d'autres leur préfèrent le titre de «combattant du mouvement citoyen». A Tizi Ouzou comme dans toutes les communes avoisinantes, ce sont eux qui se dressent face aux forces anti-émeutes. Ces «benjamins révolutionnaires» se sont approprié la rue. Le visage à moitié couvert, le torse nu, une pierre à la main, un cocktail Molotov dans l'autre, ils bravent le danger, car inconscients. Dans une atmosphère irrespirable marquée par un nuage épais de gaz lacrymogène, un «gamin» d'une dizaine d'années lance un projectile contre les CNS criant des obscénités et des «Ulac l'vot», «Pouvoir assassin». Les hommes en bleu font de même, redoublant quelquefois d'injures. Ils tirent régulièrement des bombes lacrymogènes en tentant de gagner du terrain. Ces derniers, croit-on savoir, ont été dépêchés par milliers dans la région. Certains, nous dit-on, n'ont jamais été formés pour faire face à ce genre de soulèvements. De simples fonctionnaires de police auxquels on aurait fait porter une combinaison. Ce «jeu» d'affrontements se poursuivra durant toute l'après-midi sans aller plus loin dans la violence. Dans un climat de tension maximale, les forces de l'ordre refusent de parler à la presse. Dans l'autre camp, ils sont méfiants et ne parlent qu'à ceux qu'ils connaissent. Lors de ces affrontements, les plus âgés des émeutiers ne dépassent pas 20 ans. On se demande alors où sont ces «porteurs de la voix citoyenne». La manipulation se sent à distance lorsqu'on voit un enfant de dix ans faire face aux troupes des CNS en criant qu'il n'y aura jamais d'élections! Mais que peut comprendre un gamin de cet âge aux scrutins de tout genre? Dans la même après-midi, des jeunes ont placé des barricades un peu partout dans la ville, notamment au Carrefour du 20-Avril à l'est de la ville. Sans qu'il y ait de graves incidents, la journée d'hier annonce le pire pour aujourd'hui. Il est un peu plus de 16h, le temps se couvre et les quelques rayons de soleil se sont éclipsés pour laisser place à la grisaille. Reste à savoir de quoi sera fait demain?