La projection a été marquée par un hommage appuyé, rendu à feu Ammi Larbi Zekkal. Et la boucle est bouclée. Après avoir lancé le projet de cette coproduction tuniso-algérienne en Algérie, plus précisément au Festival du film arabe en 2008, le film, tourné par Abdelatif Ben Amar a enfin été projeté mardi dernier à Alger, où s'est déroulée en grand pompe, l'avant- première à la salle El Mougar. Son nom Les Palmiers blessés qui retrace l'histoire de la guerre de Bizerte (Tunisie) en 1961 sous un angle personnel, fait ainsi croiser la petite histoire avec la grande. Si l'histoire est plantée en 1990, ce n'est pas fortuit. Les guerres dans le monde font rage, notamment en Irak et l'Algérie est plongée dans l'obscurantisme. Abdelatif Ben Amar choisit une comédienne issue du théâtre pour camper le rôle de Shama, fille de martyr, alias Leïla Ouaz dont c'est sa première expérience au cinéma. Un sans-faute pour cette comédienne qui a gagné la sympathie du public par son jeu très subtil et très profond. Shama est une jeune diplômée en sociologie, partie à Bizerte afin de retrouver un écrivain en vue de lui dactylographier les pages de son nouveau livre portant sur les événements de Bizerte. Ce sombre personnage est élégamment campé par l'acteur Naji Najah. Confrontée à son passée, la belle Shama se retrouve face à elle-même, contrainte à reconstituer le puzzle de sa vie, et part à la quête de la vérité afin de savoir comment son père est-il décédé lors de cette fâcheuse guerre de Bizerte qui a fait des milliers de victimes. Un père cheminot syndicaliste de son état qui s'est engagé bénévolement pour la défense de son pays, tombé au champ d'honneur, mais enterré quelque part aujourd'hui. Dans cet univers froid et hostile de Bizerte, se conjugue l'attitude lâche de cet écrivain qui décide de rompre tout contact avec Shama. Mais il est trop tard. Dans l'impossibilité de revenir en arrière, Shama est bien décidée à renouer avec son passé douloureux et de réhabiliter l'histoire de sa famille, celle de milliers de Tunisiens. Shama est aidée dans sa quête absolue de vérité par un couple algérien venu s'installer en Tunisie, quittant un pays ensanglanté et miné par une autre «guerre». Ce charmant couple est interprété par Rym Takoucht et Hassan Kechach, celui-ci dans le rôle d'un artiste-musicien, comme symbole de paix, de poésie et d'harmonie dans ce monde de brut... Shama fait aussi la connaissance du fils d'un vieil ami de son père qui tentera de l'aider à se tourner plus vers l'avenir au lieu de s'arc-bouter dans le passé. Une idylle naît entre eux. Mais quand le passé est convoqué violemment, Shama découvre enfin cette vérité qui fait mal. Ce film, poignant à plus d'un titre, dénonce ainsi la félonie des «puissants» qui tentent de retranscrire l'histoire selon leurs propres visons de «vainqueur», au détriment de celles des petites gens, qui elles, même si elles ne font pas l'histoire, la subissent de plein fouet. Sixième long métrage et néanmoins deuxième collaboration avec l'Algérie, après Aziza, Les Palmiers blessés est aussi le second film d'Abdelatif Ben Amar en matière de sujet portant sur l'histoire. Notre valeureuse comédienne Aïda Gechoud complète le casting algérien, tandis que Farid Aouameur, notre compositeur national à l'aura internationale signe la musique du film. Un film bourré d'émotion, celle-là qui transparaît dans de très beaux plans, soit de visages serrés pour exprimer les sentiments ou de paysages fantastiques pour illustrer la profonde détresse de l'être humain et son silence qui en dit long... Pour rappel, Les Palmiers blessés a fait l'objet d'une avant-première au mois de juillet dernier à Tunis, ouvrant ainsi la 46e édition du Festival international de Carthage. «Nous, cinéastes, nous avons un rôle à jouer dans la sensibilisation du monde arabe quant à l'importance de l'image. Moins par l'intelligence, mais peut-être avec plus d'émotion, je voudrais dire à l'intellectuel et d'autant plus ici au nord de l'Afrique que nous avons la même sensibilité et la même histoire. Bizerte a vécu un drame qui a été oublié par l'histoire. Par ce film, je rappelle ces violences faites aux peuples tunisiens et algériens puisqu'à cette époque, il y avait une complicité très forte entre vous et nous en matière de soutien au mouvement de l'indépendance. On a abrité une partie de l'ALN. Trente ans après, une jeune fille tunisienne dans le film s'aperçoit que la mémoire n'existe pas. Elle ne sait pas ce qui s'est passé, de la même manière que dans d'autres pays, on ne donne pas assez d'importance à la logique de l'histoire dans l'éducation et la formation de l'individu. Shama se voit confier un manuscrit par un écrivain qui prétend avoir participé à la guerre de Bizerte. Elle s'aperçoit qu'il y a des contradictions, des choses curieuses, d'autant plus que son père est un martyr. Petit à petit, elle va opposer l'écrit à la mémoire collective. Elle se rend compte de l'entourloupette, «c'est-à-dire que l'intellectuel peut utiliser l'histoire à des fins d'honneur imméritées», nous a confié le réalisateur. Et l'actrice Leïla Ouaz d'expliquer: «En tentant de retracer l'historie de son père, Shama se sent toujours perdue comme la plupart des jeunes Arabes, je crois. Elle ignore pratiquement tout sur la vérité historique. Elle cherche partout, via les livres et les témoignages. Mais elle ne trouve pas de réponse. Mon personnage est celui d'une femme introvertie, profonde et triste. C'était un peu difficile de camper ce rôle, mais avec une longue préparation avec Abdelatif Ben Amar, j'ai pu affronter la caméra lors du tournage. J'espère être à la hauteur de l'attente des spectateurs algériens. Sinon, ça s'est bien passé, le tout dans la création et la complicité avec les comédiens algériens. C'était une très belle rencontre. C'est avec un peu de trac que je suis venue en Algérie, mais finalement je suis enthousiaste et ravie d'être ici en Algérie, j'espère que le film remportera le même succès qu'à Tunis où il a reçu une bonne critique. On verra bien aussi lors des Journées cinématographiques de Carthage où il sera en compétition». Présenté dans une salle comble, Les Palmiers blessés a été projeté face à la famille du 7e art algérien dont Ahmed Rachedi, Sid Ali Kouiret, Yamina Chouikh notamment, mais aussi de l'ex-ministre de l'Information, Lamine Benchichi, et la moudjahida Djamila Bouhired. C'est aussi en l'absence de Khalida Toumi, ministre de la Culture, qu'un hommage appuyé a été rendu en préambule à feu Ami Larbi Zekkal et ce, via un court film Les Palmiers blessés signé Souhila Batou, avant de voir le film. «On espère que chaque film devienne ce palmier à même de renforcer notre oasis cinématographique pour que notre 7e art puisse rayonner dans le monde», a indiqué enfin la productrice du côté algérien, Nadia Cherabi.