«Si tu cherches le mal dans le coeur des gens, tu le trouveras. Alors cherche le bien.» Abraham Lincoln Lors des marches contre le projet des retraites, les médias ont rapporté un mouvement parallèle, celui des «casseurs», ont dit que des bandes ont profité des manifestations lycéennes, contre le projet de réforme des retraites, pour mettre à feu et à sang les rues du centre-ville. Des automobiles, des poubelles, des camions, du mobilier urbain, ont été détruits, brûlés. De très nombreux commerces ont été attaqués. Ce mouvement n'a pas jailli du néant, c'est un feu mal éteint, ses prémisses remontent à une trentaine d'années avec l'arrivée de la Gauche au pouvoir qui a compris le bénéfice qu'elle pouvait tirer de l'instrumentalisation des beurs, ces enfants des émigrés qui ont donné leur sang comme tirailleurs pour défendre la France et leurs bras comme «tirailleurs bétons», pour la construire. Le mouvement «Touche pas à mon pote» qui a jailli du néant s'est, au cours du temps, dilué, ses ténors ayant été casés par le PS. A droite, la même aspiration a donné lieu à des promotions éclairs. Ce fut Azouz Begag et Fadéla Amara transfuge de la gauche... Cependant et en se gardant de donner des leçons en nous immisçant dans des problèmes franco-français, [nous devons regarder la poutre qui est dans notre oeil] la mal-vie actuelle des banlieues ne peut pas être réduite uniquement à un problème de lois de dealers, de territoires où la loi de la jungle règne. Il y a certainement des milliers de jeunes qui veulent s'en sortir et sortir des banlieues, bref, être des citoyens ordinaires avec des devoirs mais aussi des droits. «L'ère des sauvageons» Ivan Roufiol du Figaro avec un nom qui rappelle «Ivan le terrible» est sans concession pour les beurs. Lisons ce morceau d'ontologie où nous avons affaire à une distillation d'une haine pure: «Tous les lycéens ne sont évidemment pas des casseurs. Mais les casseurs de ces derniers jours- et ce mercredi matin encore, dans le centre de Lyon - sont bel et bien des lycéens. Ceux-là viennent, majoritairement, des cités-ghettos. Les encapuchonnés ne défilent pas pour défendre la retraite à 60 ans, ni même le système de protection sociale qui a pu attirer leurs parents ou leurs grands-parents. Ils sont là pour en découdre avec la République, sa culture et ses symboles les plus visibles: les forces de l'ordre, les écoles. Les scènes de guérillas urbaines qu'ils reproduisent ressemblent beaucoup aux images d'intifadas des jeunes palestiniens s'affrontant aux forces israéliennes. Il y a, dans ces insurrections ethniques d'une jeunesse de culture souvent musulmane, le même rejet d'un Etat vu comme colonisateur et oppresseur. Les ensauvagés, chaque fois plus intrépides et organisés, rappellent l'échec de leur intégration. L'Allemagne, qui vient de reconnaître l'échec de son approche multiculturelle, n'est pas pour autant confrontée à ces explosions de haine et, en fait, de racisme anti-Français. Ce qui s'observe chez ces voyous, c'est un refus de s'intégrer dans une société qu'ils rejettent culturellement. La violence des jeunes -avec toujours moins de blancs en leur sein, l'épuration ethnique a fait imperturbablement son chemin depuis 2005- n'est porteuse ni d'alternative, ni de rébellion. Elle est en sécession de tout, y compris d'elle-même. Des religieux, des extrémistes de la cause noire, des importateurs du nationalisme maghrébin tentent de plaquer leur vision sur ces mouvements de foules. Mais ils n'en sont pas les moteurs. La violence est en effet dans ces banlieues perdues, la seule voie pour progresser socialement. Une attitude «glorieuse» contre policiers et vitrines vous vaudra, de retour au quartier, la possibilité de monter dans la hiérarchie du crime plus ou moins organisé, ou tout simplement dans les bandes de copains qui, évidemment, ne se mesurent pas à des déclamations de Racine. Il semble que les pouvoirs publics se soient accommodés de cette situation. Sauf quand il a trouvé un sérieux concurrent structurant: l'Islam».(1) Pour certains extrémistes du même gabarit, «il est clair, en effet, que l'immigration, loin d'être une «chance pour la France» est devenue un danger. Au moins pour trois raisons. La première et la plus profonde concerne la perte progressive de notre identité nationale. Progressivement s'imposent à nous des coutumes, et parfois même des lois qui n'ont rien de français. Des grandes marques obligent ainsi leurs clients à payer l'impôt islamique -qu'ils soient musulmans ou non. Il est évident qu'il n'y a pas de fatalité génétique pré-déterminant telle personne à être un délinquant. Mais il est non moins évident que des centaines de milliers d'immigrés non intégrés sont autant de «clients» pour la délinquance». Tout est dit, les émigrés ne trouvent aucune grâce aux yeux des Ivan, c'est tantôt des casseurs, des sauvageons, pour reprendre le langage zoologique du colonisé, cher à Frantz Fanon]. Pour la vérité, Jean-Pierre Chevènement, un ministre de gauche, parlait aussi de sauvageons.. Tantôt ces beurs sont des «intifadhistes» des voyous, des adeptes du crime organisé, instrumentalisés de l'extérieur... par des fanatiques de l'Islam. A qui cette situation de ghettoïsation et de diabolisation des beurs profite? Sans nul doute à tous les Ivan Roufiol et autres extrémistes qui dictent la norme de ce que doit savoir et penser le Français moyen. Qu'en est-il réellement? Il est vrai qu'aucune société n'accepte le désordre, l'absence de l'Etat et à ce titre, ramener l'ordre est un impératif. Les casseurs doivent rendre compte. Cependant en ne s'attaquant qu'aux symptômes, le risque est grand de voir une récurrence du désordre tant qu'on ne s'attaque pas aux causes. Roufiol nous dit qu'ils faut qu'ils s'intègrent sous-entendu, s'ils ne le font pas, qu'ils s'en aillent. Le problème c'est qu'au nom du droit du sol, ils ont en théorie les mêmes droits et naturellement qu'Ivan Roufiol. Solenn De Royer Christine Taconnet et Bernard Gorce du journal La Croix, ont enquêté sur les parcours des casseurs jugés en 2005. Ils écrivent: «(...) Ils avaient participé aux violences en banlieue. Aujourd'hui, ils expriment peu de regrets et leur avenir reste incertain. Marche silencieuse à Clichy-sous-Bois, un an après la mort accidentelle de deux adolescents, à l'origine des émeutes. Le substitut du procureur n'avait rien voulu entendre et demandé une «décision exemplaire». Karim, lui, n'a aucun regret. S'il a participé aux émeutes de novembre 2005, il a échappé à la police et à la justice. C'est «la haine pour la police», explique-t-il, qui l'a conduit à participer aux événements de novembre 2005. «Les flics nous interpellent dix fois par jour, ils nous méprisent, c'est insupportable. «La police ne reconnaît jamais ses torts. Il y a trop d'injustices. Pour se faire entendre, la violence est le seul moyen. C'est de l'autodéfense.» Dans une étude, le Centre d'analyse stratégique (CAS) avait noté la «sévérité» des condamnations prononcées par les chambres correctionnelles ayant statué en comparution immédiate, pendant les émeutes. Le CAS observait que la nature des faits, de même que le passé judiciaire des prévenus n'avaient eu que «peu d'influence sur la nature des peines et leur quantum». Le président du tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczweig, reconnaît que dans 40% des affaires transmises par les services de police, «les dossiers étaient mal ficelés». Il reconnaît qu'il n'a pas senti «un fort sentiment de culpabilité...Le brasier existe toujours», dit-il».(2) Dounia Bouzar est une sociologue qui a mené d'excellents travaux sur les jeunes musulmans de France. (...) Elle explique la relation à l'Islam. Et ses observations sont éloquentes: deux approches de l'Islam dans les associations. Le premier type est un Islam que nous pouvons qualifier d'assimilé, intériorisé, que le Musulman vit quotidiennement sans besoin de s'y référer comme on se réfère à un code extérieur. Le second type est un Islam qui nous paraît en voie de maturation. C'est l'Islam vécu par de jeunes Musulmans qui ont régulièrement recours au Coran et au Hadith pour justifier le moindre de leurs faits et gestes. D'un côté celles et ceux qui sont Musulmans et qui refusent d'être enfermés dans ce seul critère religieux, parce qu'ils n'ont pas de problèmes identitaires. De l'autre, celles et ceux qui sont Musulmans mais qui veulent, en toute chose, aller puiser des justifications dans le Coran ou dans la Sunna. Pourtant Dounia s'interroge et nous interroge. Elle rappelle son analyse: «Les Musulmans sont des gens comme les autres. Il n'y a pas que leur religion qui les définit, il y a leur niveau économique, social, leur histoire, etc. Il ne faut pas réduire des individus à leur dimension religieuse. Non, on doit être embauché en fonction de ses compétences professionnelles comme les autres».(3) Guerre contre les cités Hacène Belmessous, un autre beur qui a «réussi», parle d'un maillage des banlieues en prévision d'une guerre. Il rapporte une anecdote: «Au milieu des années 2000, dans une commission d'urbanisme d'une ville du sud de la France en charge de la rénovation d'un quartier HLM, il avait été décidé de détruire l'une des «barres» de cet ensemble pour le rendre plus vivable». Mais finalement, «le représentant du ministère de l'Intérieur au sein de la commission imposa sa décision: ce ne serait pas cette barre qui devrait être démolie, mais telle autre». Pourquoi? «Pour que demain, dans le quartier rénové, les forces de l'ordre puissent plus facilement lancer leurs Opération banlieues, est le récit de cette enquête. Et il a découvert que «la police copilote» bel et bien «la rénovation des ´´cités sensibles´´» et - surtout - que, plus généralement, l'Etat prépare depuis 2002 une véritable guerre «contre les cités».(...) Contre les cités, vues comme les positions retranchées de l'ennemi intérieur, il faudra(it) par conséquent faire donner la troupe. Hacène Belmessous a rencontré nombre d'officiers qui jugent «cette dérive sécuritaire contraire aux valeurs de la République»....Ces militaires, explique Hacène Belmessous, «tendent à réduire les banlieues à un corps d'exception à l'intérieur du corps national» - et à «des lieux de subversion qui nécessitent leur reprise en main par des hommes d'action». Et de citer, comme source d'inspiration pour cette reprise en main...«la Bataille d'Alger», où «il y a eu (...) un maillage du terrain, un travail de renseignement et d'actions après renseignement pour aller récupérer les personnages clés (du FLN) et enrayer des opérations avant qu'elles ne se développent». Contre cette «perspective mortifère celle de l'inéluctabilité d'une opération banlieues qui plongerait la France dans la guerre civile», Hacène Belmessous invite, pour finir, à «démystifier l'idéologie sécuritaire qui crée progressivement les conditions de «cette guerre»(4) Dans un ouvrage percutant et drôle «Eduquer ou civiliser la banlieue?» Nasser Demiati, un autre beur tout aussi brillant, confronte sa connaissance de la banlieue avec des savoirs académiques, raillant les représentations que l'on peut se faire du peuple de ces territoires abandonnés à la stigmatisation. Supplique féroce, et plaidoyer humaniste, il remet en perspective les enjeux fondamentaux que sont l'éducation et la justice sociale dénonçant le dévoiement de ces valeurs dans les politiques actuelles. «Il s'agit, écrit Raphaël Confiant, qui a préfacé cet ouvrage, d'une très vieille tradition, qui n'est propre ni à la France ni même à l'Europe: celle de l'adresse au maître, au chef, au roi ou, de nos jours, au président. Adresse qui prend, ici et là, des formes diverses, se faisant tantôt supplique haranguée en place publique, tantôt lettre ouverte publiée dans la presse ou encore opuscule fiévreux qui doit se lire d'une traite. Nasser Demiati, banlieusard mais/et diplômé, a choisi cette dernière forme pour dire à Nicolas Sarkozy son fait quant à la question de l'éducation populaire». «Les jeunes voyous, dans leur grande majorité africaine et maghrébine, la racaille pour employer un mot devenu célèbre, font le commerce de la drogue, agressent les honnêtes gens, brûlent des voitures le samedi soir (ou des bibliothèques et des écoles lors des émeutes) parce que l'autorité de l'Etat aurait déserté les «quartiers sensibles», autre euphémisme qu'affectionnent les éditorialistes bien-pensants. (...) On comprend que Nasser Demiati ait fait de l'insolence une sorte de devoir. Mais il s'agit d'une insolence cultivée, brillante même, qui dénote une solide connaissance de l'histoire de France.(...) Mêlant ainsi l'analyse la plus rigoureuse à l'anecdote personnelle, il nous conduit au galop, mais sans raccourcis réducteurs, au coeur même du problème: la mythique école républicaine de papa est morte et bien morte. Elle s'est fracassée contre cette résistance têtue, tantôt muette tantôt braillarde, que lui ont opposé, depuis les années soixante, ceux qui aiment, pour certains, à s'appeler «les Indigènes de la République». Fils et filles de ceux qui furent charriés dans L'Hexagone afin d'aider à la reconstruction de la France d'après-guerre, ils ont fini par constituer, au fil du temps, ce que l'on pourrait appeler le nouveau peuple français. Ils ont, petit à petit, pris la place des «classes dangereuses» d'antan, à la différence que ces dernières étaient presque uniformément gauloises et que, complicité linguistique et culturelle oblige, elles pouvaient espérer que leurs rejetons bénéficient de l'ascenseur républicain. Or, aujourd'hui, cet ascenseur est en panne. Pire: il n'y a plus d'ascenseur du tout. Une large fraction du nouveau peuple est basané ou noir. Une large fraction du nouveau peuple est musulman». «Bref, la France est en train de vivre une métamorphose civilisationnelle majeure et les «Français de souche», du moins «ceux d'en-haut», ne s'en sont toujours pas rendu compte. Nicolas Sarkozy s'entête à parler des «racines chrétiennes de l'Europe» tout en prônant, pour les banlieues, pour les seules banlieues, une laïcité de fer. Ne reste donc dans son esprit que l'école républicaine pour tenter de faire de l'Indigène des banlieues un Gaulois. Méprise absolue! Le banlieusard est le Gaulois d'aujourd'hui. Le nouveau peuple français. C'est dire qu'il n'a aucunement besoin d'être «intégré». Que pour lui le mot même d'«intégration» est une insulte. (...) Ce n'est pas le peuple des banlieues qui a besoin d'être «civilisé», mais au contraire ceux qui s'emploient à le ghettoïser. Ceux qui, au moindre incident, lui envoient la police, la BAC, les CRS et, demain, pourquoi pas, l'armée. Sauf que cette armée, devenue professionnelle, accueille de plus en plus de jeunes...banlieusards. (...) Nasser Demiati n'est pas quelqu'un qui jette de l'huile sur le feu. Ce n'est ni un révolutionnaire ni un enragé. C'est quelqu'un qui cherche sincèrement à inventer une manière de réconcilier ces deux fractions antagonistes du peuple français. Cela sans manichéisme aucun. Simplement parce qu'il croit qu'une autre manière d'éduquer est possible».(5) Si la République doit être garante de la paix sociale, elle doit aussi plus que jamais rassembler tous les Français autour de valeurs humanistes bien mises à mal aujourd'hui, et inviter urgemment chacun, notamment ses intellectuels tentés par «l'Intifada» à être des éclaireurs plutôt que des pyromanes. C'est toute la sérénité à laquelle nous appelons.² (*) Ecole nationale polytechnique 1.Ivan Rioufol: Ce que révèlent les intifadas à la française Le Figaro 20 octobre 2010 2.Solenn De Royer Christine Taconnet et Bernard Gorce: La vie sans horizon des émeutiers de 2005 10/12/2007 Journal La Croix 3.Le rapport de Dounia Bouzar à l'Ihesi. Mise au point sur l'article du Figaro 28 mai 2004 4.Hacène Belmessous. Opération Banlieues: Ed. la Découverte.2008 5.Nasser Demiati-Eduquer ou civiliser la banlieue? Editions Téraèdre 21 octobre 2009.