La France a vécu mercredi une nouvelle journée de mobilisation massive contre la réforme des retraites marquée par des actions violentes de groupes de jeunes et la crainte de voir le pays complètement paralysé faute de carburant. “Soyez raisonnable, acceptez les discussions avec les syndicats, ne vous enfermez pas dans ce choix unilatéral”, a imploré le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, craignant des dérapages. Mais le Sénat continue à examiner le projet de loi à marche forcée et entend siéger jusqu'à dimanche si la guerre d'amendements menée par l'opposition oblige les sénateurs, qui veulent achever le processus aujourd'hui, à jouer les prolongations. Le président Nicolas Sarkozy y a remis une couche en répétant que sa réforme était essentielle et qu'elle serait menée à son terme. Il s'est engagé à ramener l'ordre devant ses pairs allemand et russe à Deauville (France) où était organisé un sommet tripartite. La France se tient donc le ventre, face à la perspective d'un embrasement, que rien ne laisse envisager dès lors que toutes les parties campaient sur leur position. La rue, de moins en moins maîtrisable, accentue la pression sur Nicolas Sarkozy pour réclamer une remise à plat complète de sa réforme. Il ne veut pas céder. L'exécutif, lui, cherche à débloquer le pays avec la prise en main de l'approvisionnement en carburants et en haussant le ton contre des casseurs qui s'éclatent en queue des multiples manifestations syndicales et lycéennes. Alors que les manifestations prenaient un nouveau tour avec l'entrée en jeu de la violence et du cycle de heurts sanglants entre forces de l'ordre et jeunes casseurs, Sarkozy en appelle à la responsabilité de l'ensemble des acteurs pour que “les choses ne franchissent pas certaines limites”. Une mise en garde qui n'a pas été appréciée ni par les milieux syndicaux ni par l'opposition. Personne n'a le droit de prendre en otage le pays tout entier, hausse son Premier ministre, donné, pourtant, partant. Sur le terrain de la sécurité, la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, à peine rentrée d'Alger où elle a procédé à un tour de table sur les relations entre les deux pays, a promis la fermeté face aux casseurs qui s'infiltrent dans les manifestations lycéennes. Sarkozy a en mémoire la grogne lycéenne qui a brisé les rêves élyséens de De Villepin, dont il avait été le ministre de l'Intérieur dans le dernier mandat de Jacques Chirac. Ce scénario constitue son cauchemar, mais il doit certainement savoir qu'à trop jouer sur la carte du pourrissement, le boomerang a toujours un retour. L'opposition, qu'il avait défaite, s'est, apparemment, rabibochée. D'une même voix, elle accuse, de son côté, le locataire de l'élysée de porter la responsabilité de la crispation du climat social, en campant sur sa réforme et en opposant la manière forte aux manifestants. Le gouvernement, par ses provocations policières répétitives, cherche les dérapages en pensant calmer la contestation en faisant peur, reproche Olivier Besancenot du NPA qui revient sur la scène après une éclipse due certainement à sa baisse d'audience. On ne lâche rien, on bloque tout, a-t-il promis, enhardi par le bouillonnement. Même langage chez le PC, également à la recherche d'opportunités pour rebondir. Très remontés, les communistes accusent le gouvernement de jouer “la carte de l'exaspération, de la tension et du pourrissement du conflit”. Et d'unir sa voix aux autres segments de l'opposition pour appeler Sarkozy à retirer son projet de loi et à reprendre les discussions sur les retraites. Même appel au dialogue chez les socialistes qui espèrent que leur heure est arrivée. Le PS mise aussi sur l'ampleur des cortèges pour peser sur le choix des sénateurs. “Plus la mobilisation sera déterminée, puissante, sereine, plus le Sénat sera en situation de demander au gouvernement de reprendre le dialogue”, espère Ségolène Royal, qui a concouru en 2007 contre Sarkozy, et ne rate pas une occasion pour rappeler qu'elle est toujours partante pour une nouvelle compétition. On fait bloc, a-t-elle affirmé avec un air entendu dans la manifestation d'hier aux côtés de Martine Aubry, numéro un du PS. Au sein de la majorité, des voix commencent aussi à tonner, reprochant même au Président son style et son plan de remise en cause du modèle social français. Nicolas Sarkozy parie sur deux échéances qui pourraient provoquer l'essoufflement du mouvement en fin de semaine : le vote du Sénat et les vacances scolaires de la Toussaint. Il reste à connaître la réaction des syndicats, qui se réunissent ce jeudi pour décider de la suite du mouvement. La CFDT souhaite adapter sa stratégie à la nouvelle séquence qui s'ouvrira la semaine prochaine, tandis que quatre syndicats sur huit, dont la CGT, ont marqué pour l'instant leur volonté de poursuivre les actions après l'adoption du texte. La mobilisation nous permettra d'envisager d'autres initiatives, a déclaré Bernard Thibault, faisant part de sa crainte de voir la rue déraper, qu'il avoue ne plus maîtriser. À ce rythme, il ne restera plus à Sarkozy qu'à décréter l'état d'exception !