Après une ouverture faite dans la liesse, les choses sérieuses ont commencé tôt dimanche dernier. Devant le nombre impressionnant de films présentés et l'éventail de sections, il est toujours difficile de faire un choix aux JCC. Celui-ci est toujours guidé par la sensibilité mais aussi par l'impératif de voir des films entrant surtout en compétition. La matinée, notre dévolu est tombé sur le film Terra incognita du réalisateur libanais Ghassan Salhab auquel les JCC rendent hommage cette année. Bien que sorti en 2001, ce film n'a pas pris une ride. Plongées dans le Beyrouth d'aujourd'hui, des trentenaires voient leurs destins se croiser, elles n'arrivent pas à regarder dans leur passé, encore moins à se projeter dans l'avenir. Au coeur de cette histoire chaotique, des êtres «cassés», comme cette ville de Beyrouth dont les stigmates de la guerre restent encore visibles non encore cicatrisés, parmi eux Soraya, guide, qui s'évertue pourtant, à instruire les touristes sur l'histoire de son pays tout en refusant de penser à son passé amoureux. Or, celui-ci resurgit quand son ancien compagnon revient au Liban. Il y a aussi son ami Nadim, l'architecte, qui se plait, comme Le Corbusier, à redessiner les contours géographiques mais hypothétiques de cette ville en éternelle mutation. Plusieurs personnages gravitent autour d'elle, telle l'amie de Soraya, cette fille un peu déjantée et aux idées noires. Ce film, qui évite soigneusement de tomber dans les clichés réducteurs peint un Beyrouth ancré dans le réel, ce qui confère à cette fiction un caractère de documentaire. La musique, qui renvoie à l'origine des choses, étant ce qu'il y a de sacré dans l'humain, à savoir son âme, sert le film en l'enveloppant d'une aura de mystère, poétique, permettant ainsi de diminuer ce sentiment de malaise et de lenteur qui influe sur le rythme du film. Beyrouth en chantier est dévoilée, nue, peinte sans artifice mais enlaçant sa chair, son souffle et tout battement de son coeur qui, parfois lâche ou renaît tel un phénix. Le spectateur entre ainsi dans ce Beyrouth en tatillonnant, par le truchement d'un récit fragmentaire dessinant les courbes d'une ville en décomposition comme ses habitants qui, toutefois, ne sont pas perdus, avouera le réalisateur mais sont dans une espèce de flottement. Ont-ils baissé les bras? Sans doute que non! Mais multiplient plutôt, les pistes de salut pour s'en sortir, d'où ce flou qui semble «cerner» leur vie. Le corps de Beyrouth est rendu de façon majestueuse sans artefact, métaphoriquement parlant, par celui de Soraya qui a des difficultés d'être dans la vie mais tente de trouver des échappatoires pour respirer ou se perdre. Entre étouffement et envie de s'ouvrir aux autres est le Beyrouth d'aujourd'hui qui se décline par ses voies tortueuses et ses circulations fluides. Mus par une certaine liberté, ces personnages un peu dans la marge, sont aussi dans la déperdition, comme dans un labyrinthe sans issue. «J'ai voulu apporter un regard différent sur cette ville. Celui d'une personne qui est à la fois un étranger et un familier», souligne le réalisateur qui est né au Liban et a passé 27 ans de sa vie entre Paris et le Liban. Un réalisateur dont le choix esthétique ne se dissocie pas du contenu d'où cet appel à ces couleurs/lumières et combinaisons de sons (chansons) qui forment ce Beyrouth bigarré et cosmopolite. Côté documentaire, cette fois en compétition, la journée commencera par la projection du dernier film de Malek Bensmaïl intitulé Guerres secrètes du FLN en France retraçant les actions menées par le Front de libération nationale sur le sol de l'ennemi. Ce film linéaire rapporte plusieurs témoignages qui tendent à questionner notre Histoire tout en remettant en cause l'Histoire officielle de la Guerre d'Algérie. Malek Bensmaïl qui se plaît à remuer le couteau dans la plaie par souci de vérité, relève dans ce commentaire «la guerre fratricide» qui a existé entre les membres du MNA, le parti de Messali Hadj et celui le FLN. Mohamed Harbi, Ali Haroun, mais aussi Djanina, fille de Messali Hadj, Salima Bouaziz, Slimane Ould Younès notamment, sont autant de personnes qui diront toute la sensibilisation déployée pour faire gagner à leur cause la population ouvrière, émigrée de France, pour adhérer au FLN, puis entreprendre des actions sur le terrain ou par la «bataille de l'écrit» via les livres La Pacification et La Question d'Henri Alleg notamment. Autre documentaire poignant mais encore plus, attendrissant est celui du jeune Sénégalais Alassane Diago(à peine 25 ans). Dans ce documentaire, autobiographique le réalisateur interroge sa mère qui a attendu plus de 23 ans le retour du père mais aussi sa soeur qui se retrouve seule à élever son bébé, depuis que son mari est parti il y a cinq ans. Par une atmosphère bien pesante est traduite cette attente infernale, bien acceptée et assimilée par cette mère, sage, qui ne regrette rien car ayant bien connu jadis le bonheur avec son mari et continue à espérer tout en gardant cette philosophie de la vie en tête. «Ce film est fait sur les gens du Sénégal, sur eux et pour eux. C'est l'histoire de milliers de femmes, victimes de l'émigration. Mon film a pour ambition de dire le réel. Il suffit de tendre l'oreille pour bien voir. Par le documentaire, on peut réfléchir sur ce qui nous attend et penser à ce qu'il faut pour faire évoluer les choses. L'idée du départ est de comprendre qui je suis, d'où je viens. J'ai découvert pas mal de choses méconnues, j'ai pu découvrir des pans de ma vie en questionnant mon enfance. Ma société m'en veut mais j'estime que mon tabou est à briser», a confié Alassane. Dans une autre catégorie toujours en compétition est le film de fiction. Encore une fois, du réalisateur syrien Joud Saïd. C'est l'histoire décomposée d'un enfant traumatisé par la guerre civile de Beyrouth. En 1975, sa mère est morte dans un attentat à la bombe qui ciblait son père, officier dans l'armée. Enfant jouant avec un fusil, Majed se blesse, reste dans le coma et demeure pendant 4 ans amnésique. En 2006, il devient manager dans une banque. Il rencontre Joyce, une Libanaise, directrice de cette banque. Le passé le rattrape. Il en tombe amoureux. Comme lui, elle a souffert de la guerre au Liban où elle a perdu son père, tué par les Syriens. Un peu mélodramatique mais soutenu par un jeu de lumière et des comédiens assez bons, ce film met en scène la guerre, de façon originale, et parvient à émouvoir le public.