Le Sommet de l'Alliance atlantique aura lieu les 19 et 20 novembre 2010, à Lisbonne. Au menu des 28 Etats membres, l'adoption du nouveau «Concept stratégique» de l'Otan. Le précédent date de 1999. Il est antérieur aux attentats du 11 septembre et aux bouleversements de portée mondiale qui ont suivi, dont les plus visibles sont les guerres d'Irak et d'Afghanistan et celle généralisée contre le terrorisme. Sa révision s'impose et elle est à l'ordre du jour de l'Alliance atlantique depuis déjà quelque temps. Les manoeuvres ont cours à l'occasion de réunions préparatoires au Sommet, notamment, - la dernière, tenue au niveau des ministres de la Défense et des Affaires étrangères a eu lieu à la mi-octobre, à Bruxelles - mais également hors du cadre de l'Alliance, sur un plan bilatéral, comme c'est le cas du Sommet franco-britannique du 2 novembre 2010, à Londres. Avant de revenir sur les résultats dudit Sommet et pour les éclairer, quelques rappels nous semblent utiles: l'enjeu principal du nouveau «Concept stratégique» de l'Otan est l'avenir de la défense nucléaire et antimissile de l'Europe qui est assurée par le bouclier américain. A cette fin, les Etats-Unis disposent encore de quelques centaines d'armes nucléaires basées en Europe datant de la Guerre froide. L'Allemagne et les autres pays qui les abritent demandent leur retrait, estimant qu'un bouclier antimissile et la dissuasion assurée par les puissances nucléaires de l'Otan, suffiraient à assurer la défense de l'Europe. Robert Gates, le secrétaire américain à la Défense, ne l'entend pas ainsi et rejette tout lien entre la présence desdites armes et le bouclier antimissile (revu et corrigé par Obama après le bras de fer qui opposa Russes et Américains sous l'administration Bush, mais qui continue à susciter la méfiance de Moscou. Le président Medvedev a annoncé sa participation au Sommet de Lisbonne, le 19 octobre 2010, à l'issue de son entretien à Deauville avec Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Quant aux deux puissances nucléaires européennes, la France et la Grande-Bretagne, elles sont favorables au maintien des armes nucléaires américaines stationnées en Europe, estimant qu'elles garantissent la pérennité du lien transa tlantique. Elles sont rejointes par les pays de l'Europe de l'Est qui ont adhéré à l'Otan ou cherchent à le faire pour se prémunir contre toute menace qui viendrait de la Russie. A la veille du Sommet de Lisbonne, qui doit, rappelons-le, décider de l'avenir de la défense nucléaire et antimissile de l'Otan en procédant à la révision du «Concept stratégique», les principaux Etats membres sont toujours divisés. On ne peut omettre de noter les positions non concordantes de la France et de l'Allemagne, cet attelage qui tire la construction de l'Europe depuis la signature du traité d'amitié de l'Elysée entre le général de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer en 1963. Une nouvelle force expéditionnaire A Lisbonne, un consensus sera certainement dégagé, mais son application sera laborieuse, non seulement en raison des divergences qui ont fait jour, mais surtout pour des raisons financières qui pèsent lourdement dans une période de crise appelée à s'attarder et imposant des réductions budgétaires sévères. S'agissant du Sommet de Londres entre Nicolas Sarkozy et David Cameron, motivé, justement, essentiellement par des soucis d'ordre budgétaire, il a accouché de deux accords et d'une déclaration commune. Selon les informations disponibles, les deux pays vont coopérer dans tous les domaines militaires. Le secteur privilégié est celui des armes nucléaires qui constituent la pierre angulaire des systèmes de défense des deux pays et qui leur donnent un statut privilégié par rapport à leurs partenaires européens. La France et la Grande- Bretagne ont décidé de mettre en commun leurs capacités de simulation pour tester la fiabilité de leurs arsenaux nucléaires. Les opérations auront lieu au centre de simulation qui sera construit à Valduc, près de Dijon, sur le site du Commissariat à l'énergie atomique, et au centre de recherche d'Aldermaston, dans le sud-est de l'Angleterre. Malgré cette coopération renforcée, les deux pays déclarent vouloir garder l'indépendance de leur force de dissuasion respective. Nicolas Sarkozy et David Cameron ont insisté fortement sur ce point pour ménager leurs opinions publiques très sensibles à tout ce qui touche à la souveraineté nationale. La France et la Grande-Bretagne créent une «force expéditionnaire conjointe» de plusieurs milliers d'hommes, qui serait opérationnelle dès 2011 et aurait des missions pouvant aller jusqu'au combat. Une telle force, qui disposerait des capacités de projection des deux armées, pourrait intervenir, par exemple, au Sahel qui semble destiné à devenir le prochain théâtre de manoeuvres militaires pour des forces armées étrangères à la région. La déclaration commune franco-britannique énumère 17 points d'accord en matière de coopération de défense. Outre ceux cités plus haut, on peut ajouter: -la construction de drones qui s'imposent comme l'arme des guerres de demain (l'Europe est en retard dans ce domaine), les missiles, la technologie sous-marine, le partage des porte-avions et la création d'une «force aéronavale intégrée», la consécration de 50 millions d'euros à la recherche et développement. A propos de porte-avions, les Britanniques en possèdent deux (contre 13 pour les Etats-Unis) vieillissants. Le démantèlement de l'un d'eux, l'Ark Royal, a été annoncé. Deux sont actuellement en construction et le premier ne sera pas opérationnel avant 2020. Il sera équipé de catapultes pour pouvoir accueillir des avions français à décollage horizontal, contrairement aux Harrier britanniques qui sont à décollage vertical. Les Français ont désarmé l'Invincible et n'ont plus que le Charles de Gaulle qui connaît de longues périodes d'immobilisation. Dans ces conditions, les deux pays sont condamnés à mutualiser leurs moyens pour essayer d'assurer une présence permanente en mer. Cette idée est ancienne si on se rappelle qu'elle est née à Saint-Malo en 1998, et était déjà dictée par des soucis de coûts budgétaires. Lors de la conférence de presse, Nicolas Sarkozy n'a pas boudé son plaisir, multipliant les déclarations d'amitié envers la Grande-Bretagne et se félicitant de «ce niveau de confiance entre nos deux nations jamais égalé dans l'histoire». Par contre, David Cameron a laissé apparaître une satisfaction de circonstance contenue et polie, dénuée de tout enthousiasme excessif. Est-ce dû uniquement au flegme britannique? Ce mariage de raison entre deux nations déclinantes qui veulent préserver leurs statuts de puissances nucléaires et de membres permanents du Conseil de sécurité, est dicté par un pragmatisme forcé dans une situation de restrictions budgétaires et de rationalisation des dépenses. La France est engagée dans une suppression drastique des postes dans le domaine de la défense et la Grande-Bretagne dans une réduction du budget de défense de 2% par an sur une durée quadriennale. Ce mariage pourrait réserver des surprises. Certaines décisions arrêtées ne pourront déboucher que dans une dizaine d'années. Comme disait un homme politique britannique, en politique, une année c'est trop long. Après un retour dans le commandement intégré de l'Otan, la France rejoint la Grande-Bretagne dans une coopération d'une ampleur sans précédent en matière de défense. Future défense européenne? Quelles conséquences aura ce rapprochement franco-britannique sur l'avenir de la défense européenne? (Depuis la création d'une brigade franco-allemande de 5000 hommes en 1987, qui forma le noyau de Eurocorps créé en 1992, c'est le couple franco-allemand qui s'est investi pour donner une identité de défense à l'Europe). Certains, optimistes, voudront voir dans la construction de cette interdépendance franco-britannique la mise en place des bases d'une future défense européenne. D'autres, réalistes, y verront des mesures dictées par les événements qui évolueront au gré des circonstances et des intérêts de chacune des parties. (Qu'adviendrait-il, par exemple, si Londres et Paris s'opposaient sur une question de politique étrangère comme ce fut le cas lors de la guerre d'Irak?). Sur un autre plan, en planifiant leur coopération nucléaire sur une durée de 50 ans, les deux pays annoncent au monde qu'ils ne sont pas près de renoncer à leurs arsenaux. Ceci va compliquer davantage la situation au sein de la Conférence de désarmement de Genève. Par ailleurs, la décision franco-britannique de construire un centre de simulation à Dijon, qui sera opérationnel d'ici à 2014, n'est pas pour encourager certains pays à ratifier le Traité d'interdiction des essais nucléaires, plus connu sous le sigle anglais Ctbt. .Le désarmement et la non-prolifération vont connaître de nouvelles difficultés. Dans ce même domaine, les décisions du prochain Sommet de Lisbonne seront également importantes.