Affaibli par la maladie, il est tout de même venu en fauteuil roulant pour honorer cette invitation que lui a offert la 23e édition des JCC où nous l'avons rencontré. Le Tunisien à l'oeuvre universelle, Tahar Cheriaâ, n'est plus. Il était le père fondateur des Journées cinématographiques de Carthage (1966), premier festival de cinéma arabo-africain, dont il présida les quatre premières sessions, celles de 1966, 1968, 1970 et 1972. Il soutenait que le Fespaco devait être maintenu sur deux ans en alternance avec les JCC. Il était également le président de la Fédération des ciné-clubs, en somme une figure emblématique du cinéma africain et arabe, auquel beaucoup de cinéastes doivent énormément aujourd'hui. C'est pourquoi sa perte est immense. Il est décédé, jeudi dernier, à l'âge de 83 ans, à Tunis. Triste nouvelle alors que nous l'avions laissé il y a à peine une semaine, soit le 27 octobre dernier où les JCC lui avaient rendu un ultime hommage. Affaibli par la maladie, il est venu en fauteuil roulant pour honorer cette invitation offerte par la 23e édition de la biennale qu'il a créée en 1966. Le public du Théâtre municipal de Tunis, debout, avait bien acclamé ce grand monsieur qui a tant fait pour le cinéma dans le monde. Il s'adressa alors aux cinéastes arabes et africains, les appelant «à être sincères avec eux-mêmes et avec leurs oeuvres, à mettre toutes leur forces, corps et âme, afin de faire des films engagés, loin de toute influence, pour défendre leur identité» et de nous confier: «Porter le nom d'un ciné-club au Burkina Faso, à Zanzibar ou en France, notamment à Paris, cela veut dire que mon oeuvre ne s'est pas limitée à la Tunisie mais est allée au-delà», s'était réjoui Tahar Cheriaâ en se confiant en aparté, devant une Dora Bouchoucha à la fois enthousiaste et émue. Outre les JCC, l'un des plus anciens festivals de cinéma du Sud, Tahar Cheriaâ, a contribué à faire connaître plusieurs talents, parmi lesquels l'Algérien Mohammed-Lakhdar Hamina, le Sénégalais Ousmane Sembene ou le Mauritanien Mohamed Hondo. La disparition de ce monstre sacré du cinéma est comme un arbre séculaire qu'on vient d'abattre. De l'avis de beaucoup de gens, sa disparition sonne le glas de la perdition de tous ces cinéastes honnêtes qui ont toujours cru en un cinéma sincère et authentique. Celui qui a été le pont entre les générations avait tenu à dire, à juste titre, à la nouvelle génération, de ne pas abdiquer, heureux qu'elle n'ait pas connu les affres de la guerre mais l'encourageant vivement à avoir foi dans son art. Dans un documentaire non achevé, signé Mohamed Challouf, fils spirituel de Tahar Cheriaâ et intitulé Tahar Cheriaâ, notre baobab, le réalisateur soulignera le côté «visionnaire» d'un homme qui s'obstinait à regarder vers le Sud à l'époque où d'autres lorgnaient vers le Nord, tout en sachant «aller au tréfonds des coeurs des cinéastes pour en extraire leur richesse» comme dira Gaston Gaboré, qui, présent dans la salle du Théâtre municipal de Tunis, a tenu à monter sur scène pour tenir la main de cette icône tunisienne à l'âme africaine. Son aventure avec le cinéma commença à la faculté des lettres de Paris où il a passé 10 ans. Après cela, Tahar Cheriaâ amorça une riche carrière cinématographique en s'imposant comme un «critique de référence» et historien du 7e art à travers de nombreux articles et ouvrages. Il jeta les bases du premier département cinéma au ministère de la Culture de la Tunisie, nouvellement indépendante. Au sein de l'Agence de coopération culturelle et technique qui deviendra Organisation internationale de la francophonie (OIF) dont il dirigeait le département cinéma, il contribua à la création, en 1971, du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Critique et historien du 7e art, Tahar Cheriaâ a également traduit de la poésie, de et vers l'arabe. Tahar Cheriaâ a été décoré, en 2007, des insignes du Grand Cordon de l'Ordre du mérite national, au titre du secteur culturel, par le président Zine El Abidine Ben Ali, qui l'a entouré de sa sollicitude lors de sa maladie. C'est en homme digne qu'il attendra la fin de la session des JCC pour partir non pas sur la pointe des pieds mais comme un grand chevalier qu'il était laissant derrière lui un lourd héritage dont la nouvelle génération se doit de conserver jalousement et surtout de poursuivre le combat. Car la lutte continue. Si les indépendances sont aujourd'hui acquises, la lutte pour le rayonnement de la culture arabe et africaine est plus que d'actualité dans un monde globalisé. Même si le cinéma reste celui des sensibilités et des visions personnelles des mondes, celui de l'Afrique n'a pas fini de compter ses tourments. En Algérie, la perte trop rapide d'un nombre considérable de salles de cinéma depuis l'Indépendance, en est un des signes des plus alarmants.