Les Ivoiriens sont appelés à choisir aujourd'hui le nouveau magistrat suprême du pays après six reports successifs depuis 2005. Les candidats Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ont mobilisé vendredi soir des dizaines de milliers de partisans à Abidjan avant le second tour de la présidentielle ivoirienne d'aujourd'hui, destinée à tourner la page d'une décennie de tourmente politico-militaire. En marge de ces manifestations, de nouveaux heurts entre sympathisants des deux bords ont fait plusieurs blessés, a-t-on appris de sources concordantes. L'annonce par le président Gbagbo d'un couvre-feu au soir du scrutin a déclenché une vive polémique, le camp de l'ex-Premier ministre Ouattara annonçant qu'il «ne se conformerait pas» à cette mesure. Au dernier jour d'une campagne marquée par de fortes tensions, M.Gbagbo a appelé une foule en liesse à «mettre fin à onze ans de troubles» en préférant «celui qui a ramené la paix» à celui qui a apporté «la guerre», dans une dernière charge contre son adversaire. «On va installer Gbagbo!», hurlaient de jeunes supporters rassemblés sur la place de la République, dans le quartier administratif du Plateau (centre). C'est là que s'était tenue en octobre 2002 une manifestation géante contre «la guerre», après le putsch raté qui a conduit à la prise de contrôle du nord par une rébellion. Des dizaines de milliers de fidèles de M.Ouattara s'étaient retrouvés dans le quartier populaire d'Abobo (nord), l'un de ses fiefs dans une métropole dominée par son rival. Sous une pluie battante, le candidat a salué la foule immense, l'exhortant à «aller voter massivement». «Gbagbo a chaud!», scandaient des jeunes en dansant. «On veut pas (de) couvre-feu!» était un autre de leurs cris de ralliement. Le président sortant a créé la surprise jeudi soir en annonçant cette mesure pour aujourd'hui à partir de 22H00 (locales et GMT), lors d'un débat télévisé inédit avec son rival. Dans un entretien à la chaîne de télévision France 24 et la radio RFI, il a défendu une «mesure dissuasive pour quelques extrémistes». Mais la coalition pro-Ouattara, le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), a annoncé qu'elle ne respecterait pas une décision «injustifiée» dans laquelle elle voit «la porte ouverte» aux «fraudes». Le Premier ministre Guillaume Soro a jugé qu' «il n'y a pas de raison de prendre forcément un décret» instaurant un couvre-feu. «Nous pouvons aller à une élection apaisée», a-t-il dit. Toutefois, le gouvernement ivoirien a annoncé hier qu'un couvre-feu nocturne sera instauré à partir de «samedi soir (hier soir) en Côte d'Ivoire». Selon un décret du président Laurent Gbagbo lu à la télévision publique, ce couvre-feu destiné à assurer le «maintien de l'ordre qui s'impose dans la période couvrant le second tour» est instauré dans tout le pays ce samedi et dimanche, jour du vote, de 22h00 (locales et GMT) à 06H00, et de lundi à mercredi de 19h00 à 06h00». La mesure ne s'applique pas aux «personnes impliquées dans l'organisation des élections», précise le texte, citant les «officiels de la CEI (Commission électorale indépendante), les représentants des candidats et agents des Nations unies, les observateurs nationaux et internationaux et les journalistes». La semaine de campagne qui s'est achevée vendredi soir a été marquée par une nette montée de la tension, illustrée aussi par le durcissement des discours des prétendants. Médiateur dans la crise ivoirienne, le président burkinabé, Blaise Compaoré, devait rencontrer les protagonistes hier à Abidjan pour contribuer à l'apaisement. Lors d'un débat télévisé à l'atmosphère presque cordiale, les candidats se sont engagés à respecter le verdict des urnes de ce scrutin six fois repoussé depuis la fin du mandat de M. Gbagbo en 2005, et dont l'issue demeurait totalement incertaine.