Mohamed Sari enseigne à l'université d'Alger. Il est l'auteur d'une dizaine de livres entre romans, essais et recueils de nouvelles. Il a aussi traduit plusieurs romans de grands auteurs algériens à l'image de Boualem Sansal, Yasmina Khadra, Salim Bachi, Anouar Benmalek, Malika Mokeddem...C'est au Salon international du livre d'Alger qu'il nous a accordé cet entretien. L'Expression: Vous venez de publier un recueil de nouvelles en langue française, Le Naufrage aux éditions Alpha, pouvez-vous nous en parler? Mohammed Sari: Initiale-ment, c'était des chroniques sociales qui ont été publiées dans le journal Le Pays en 1993 et en 1994. Ces dernières années, je les ai reprises et j'ai trouvé que certaines pouvaient être transformées en nouvelles. J'ai réécrit ces textes en travaillant sur les personnages, sur l'intrigue et sur l'ossature narrative de manière générale. J'en ai fait des nouvelles. En lisant ces nouvelles, est-ce que nous pouvons retrouver certaines situations vécues dans la région de Tizi Ouzou? Il s'agit de nouvelles réalistes, tirées de certains faits plus ou moins vécus. Par exemple, la nouvelle du Naufrage a été tirée d'une histoire vraie que j'ai vécue dans les années 1970. Vous revenez à la langue française après avoir publié plusieurs livres dont des romans en langue arabe. Comment expliquez-vous ce passage d'une langue à une autre? Je suis d'une génération qui a d'abord étudié le français à l'école, au collège et au lycée. Ensuite, nous avons été arabisés, mais il s'agissait d'une bonne arabisation. Moi, j'ai été arabisé par les romans de Na-guib Mahfoud, les pièces de théâtre de Tew-fik El Hakim et les livres de Taha Hussein. Donc, j'ai été arabisé par une belle langue arabe qui est porteuse d'une grande humanité et d'une grande modernité. En plus, à l'université, nous sommes obligés de travailler dans les deux langues. Comme j'enseigne la méthodologie d'analyse et de critique littéraire moderne, je suis obligé de me référer tout le temps à la langue française pour des traductions, pour des compilations et pour des résumés de théorie. Je ne suis pas d'accord avec Malek Haddad qui a dit que le français est mon exil. J'éprouve du plaisir en écrivant et en lisant, aussi bien en français, qu'en arabe. Vous êtes aussi le traducteur de grands auteurs algériens, comme Boualem Sansal, Yasmina Khadra, Salim Bachi, Anouar Benmalek, Malika Mokkedem... Pouvez-vous nous parler de cette expérience? Justement, le travail sur les deux langues a été renforcé par la traduction. Avant, je passais d'une langue à une autre en laissant un grand vide entre elles. Puis, j'ai commencé à traduire l'Interdite de Malika Mokkedem, Les Amants désunis de Anouar Benmalek, Le Serment des barbares de Anouar Benmalek, puis Yasmina Khadra, Salim Bachi, Djamel Souidi, Maïssa Bey, Hamid Skif, Terre des hommes et le Petit prince de Saint-Exupéry pour les éditions Talantikit, etc. Ce travail de traduction m'a laissé toujours dans un bain où il y a, en même temps le français et l'arabe, parce que quand on traduit, on est dans un contexte où les deux langues se côtoient quotidiennement. Qu'est-ce qui est le plus difficile à faire dans le travail de traduction d'un roman? D'abord, ce qui est difficile, c'est de maitriser les deux langues. Le plus difficile aussi, ce sont les expressions idiomatiques figées qu'on ne peut pas traduire telles quelles. Par exemple, quelqu'un a traduit «en deux temps, trois mouvements» qui signifie «rapidité» tel quel. A partir du moment où on maitrise une langue, ses proverbes, sa culture et son histoire, je pense que la traduction peut se faire aisément. Vous avez traduit de grands auteurs. Après la consultation de la traduction, n'ont-ils pas émis des réserves? Non. Concernant par exemple Le Serment des barbares, qui est le roman le plus difficile à traduire, il y a un Français arabisant qui, après avoir entendu que le roman a été traduit en arabe, a contacté les éditions Gallimard à Paris, pour leur demander la traduction. Après l'avoir lue, il a envoyé un email à Boualem Sansal pour lui dire que c'est une très bonne traduction. Les traductions des romans de Yasmina Khadra ont été publiées au Liban. Il y a eu beaucoup d'échos positifs. Yasmina Khadra, qui connaît lui-même la langue arabe, n'a émis aucune réserve. Au contraire, je l'ai rencontré plusieurs fois et il a montré sa satisfaction. Est-ce que c'est facile d'être traducteur et en même temps auteur? Ce sont des casquettes qu'il faut porter. Moi, je porte trois casquettes. Celle d'auteur romancier, la casquette de critique littéraire. J'ai publié plusieurs études de critiques littéraires destinées aux étudiants. Et aussi celle de traducteur. C'est vrai que ces dernières années, les gens ont plus tendance à voir en moi le traducteur. Mais la traduction, c'est une responsabilité. On s'aventure dans un travail donné, on l'assume, puis à partir de là, on verra. C'est le lecteur qui jugera si on peut être bon traducteur, romancier ou critique littéraire.