En dépit d'une notoriété mondiale et d'un talent indéniable, l'auteur est resté humble et va régulièrement à la rencontre de ses lecteurs. «Kateb Yacine est le plus grand écrivain algérien», a déclaré Rachid Boudjedra lors d'une conférence-débat, animée lundi dernier à Tizi Ouzou. L'écrivain devait parler de son oeuvre et de son parcours d'homme de lettres. Mais en parlant de lui, il n'a pas manqué de replonger dans l'univers littéraire qui l'a influencé avec notamment des sommités comme James Joyce, Marcel Proust et William Faulkner. De Pour ne plus rêver à Les Figuiers de Barbarie, que de chemin parcouru par Rachid Boudjedra, qui, en dépit d'une notoriété mondiale et d'un talent indéniable, est resté humble et va régulièrement à la rencontre de ses lecteurs dans les quatre coins de l'Algérie. Un pays qu'il n'a pas quitté, même dans les pires moments du terrorisme, a-t-il tenu à préciser lundi dernier. «La seule fois où j'ai quitté l'Algérie, c'était entre 1970 et 1975», a rappelé Rachid Boudjedra qui souligne qu'il est rentré juste après, suite à des contacts avec Lakhdar Hamina. Il a écrit le scénario du film: Chronique des années de braise. C'est un écrivain reconnu et connu, qui revient au pays et il est désormais difficle, voire impossible de le censurer. Rachid Boudjedra a beaucoup parlé de Kateb Yacine. Il est allé jusqu'à dire ne pas avoir son talent: «J'aurais tant voulu écrire un roman comme «Nedjma» mais je ne peux pas.» Pour Rachid Boudjedra, Kateb Yacine était généreux et incorruptible: «C'était un grand maître!» Kateb Yacine, suite à la parution du premier roman de Rachid Boudjedra, La Répudiation, a écrit à ce dernier pour lui dire: «Enfin, je ne suis plus seul.» Rachid Boudjedra a rappelé que son premier livre, un recueil de poésies intitulé Pour ne plus rêver, a été censuré à 50% par la Société nationale d'édition (Sned). «Je suis toujours un poète. Un roman, c'est une écriture, un style, une structure, une façon d'installer le texte et faire des va-et-vient. C'est comme dans la vie: la personne tourne autour d'elle-même sans cesse», affirme Rachid Boudjedra. Ce dernier revient sur l'histoire de l'évolution de la littérature, notamment depuis la rupture avec la structure narrative stable, ayant commencé dans les années quarante. «Des auteurs comme Joyce, Faulkner et Proust ont bousculé cet ordre car, en réalité, rien n'a de début ni de fin dans la vie.» Aux yeux de Rachid Boudjedra, le roman moderne est plus réaliste que le roman dit «réaliste». Rachid Boudjedra, citant Derrida, rappelle que la thématique n'est qu'un prétexte au texte. Il ajoute que dans un roman, il s'agit d'une accumulation des petits événements qui font la vie ordinaire. Ce sont en même temps des faits sans importance et importants. Rachid Boudjedra a aussi indiqué que quatre sur les vingt romans qu'il a écrits en langue française sont consacrés à la guerre d'indépendance. L'auteur de l'Insolation a expliqué qu'il a été pendant longtemps obsédé par l'assassinat de Abane Ramdane. «Je me suis toujours interrogé sur la solitude de Abane Ramdane avant son assassinat mais aussi sur la solitude de ceux qui l'ont tué. Au départ, ils s'aimaient beaucoup mais la crise a éclaté après le Congrès de la Soummam. La primauté de l'intérieur sur l'extérieur, du civil sur le militaire et le fait que la République algérienne devait être tolérante en acceptant toutes les autres religions sont à l'origine de la pomme de discorde», a estimé l'orateur. Après ces précisions, le conférencier est revenu à la littérature en posant une question philosophique de fond: «Qu'est ce qui est vrai et qu'est ce qui est faux dans la vie?» En l'interrogeant sur les raisons qui le poussent à l'écriture, Rachid Boudjedra a répondu: «J'écris pour moi, pour ne pas mourir. Je vis de l'écriture. Cette dernière me libère. Un écrivain n'écrit d'abord que pour lui. Il y a des écrivains faits pour enjoliver la situation, ce n'est pas mon cas. L'autocensure a fait beaucoup de mal en Algérie. La littérature c'est un excès. Et tous les pouvoirs en ont peur. Ils ont peur de la philosophie.» A un citoyen qui lui a demandé pourquoi son oeuvre est empreinte de psychanalyse, Rachid Boudjedra a répondu que chez lui, l'écriture a remplacé la psychanalyse: «Sans cette psychanalyse, j'aurais été moi-même un malade. Les gens ont peur de la psychanalyse car cette dernière demande beaucoup de sincérité: tout dire et ne pas cacher. J'ai écrit pour dire le non-dit. Par exemple, la sexualité est une chose tout à fait naturelle et qui fonctionne partout dans le monde mais on n'en parle pas!». Interrogé sur ce qu'il pense des écrits d'Ahlam Mostaghanemi, Rachid Boudjedra a résumé sa réponse en disant qu'il s'agit d'une vraie littérature mais pas d'une bonne littérature: «C'est bien qu'elle existe, mais il s'agit d'un phénomène passager.»