Dans cette interview, le président de la section algérienne d'Amnesty International, M.Ali Yemloul, nous parle de son association, de son apport à la promotion des droits de l'homme, de son action au sein de la société ainsi que de ses positions sur plusieurs questions. L'Expression: Pour commencer, pouvez-vous nous dire un mot sur la section que vous présidez? Ali Yamloul: La section a le statut d'Association nationale et est dénommée «Association algérienne d'Amnesty International». Elle a obtenu l'agrément du ministère de l'Intérieur en date du 9 Janvier 1990. Elle est composée de plus de 600 membres dont 150 membres cotisants, structurés dans une dizaine de groupes locaux. Le secrétariat national, à Alger, compte quelques bénévoles. Entre deux assemblées générales, l'Association est gouvernée par un bureau exécutif composé de 7 membres. Ce bureau prépare et coordonne les activités, notamment les campagnes à caractère mondial, des actions urgentes en faveur des prisonniers d'opinion et des prisonniers politiques à partir des rapports de recherche du secrétariat international, et des campagnes de communication, de sensibilisation et d'éducation aux droits humains. Avec quels moyens agissez-vous? Avec les cotisations des membres et les subventions du mouvement, destinées à couvrir les charges fixes, notamment la location et les frais d'exploitation du siège, ainsi que les charges salariales. Quant aux dépenses liées aux activités, elles sont prises en charge, pour le moment, par nos moyens propres, notamment les dons des membres. Ne trouvez-vous pas des difficultés dans vos activités? La difficulté essentielle est l'insuffisance des moyens matériels (locaux) et financiers, pour organiser les différentes activités liées à la mise en oeuvre de notre programme. L'autre difficulté de taille est le refus de l'administration de nous accorder des autorisations pour faire la collecte de dons. Par ailleurs, le maintien de l'état d'urgence, conjugué au verrouillage de l'espace médiatique, fait que nous devons avoir l'autorisation pour organiser une réunion ou activité publique, laquelle n'est délivrée généralement qu'en dernière minute, souvent la veille de la manifestation, entre 16 heures et 17 heures. Cette situation nous laisse très peu de temps pour l'organisation logistique(notamment la location de la salle). Votre association demande, depuis son existence, l'abolition de la peine de mort. En quoi consiste cette position? Les considérations religieuses qu'on met en avant pour aborder ce sujet font que celui-ci a toujours été abordé avec une certaine passion qui a entaché l'objectivité de l'approche; à signaler, en passant, le peu de passion dont on fait généralement preuve lorsqu'il s'agit d'appliquer la même loi religieuse pour sanctionner les délits liés au vol ou à l'adultère; cette remarque juste destinée à soulever un paradoxe sous- tendu par un opportunisme déconcertant, ne doit pas être interprétée comme un soutien de notre part à ce genre de sanctions. La peine de mort est une violation du droit à la vie. Or, la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par tous les Etats membres de l'Organisation des Nations unies en 1948, reconnaît à chaque individu le droit à la vie et stipule que «nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants». Amnesty International considère que la peine de mort viole ces droits. Depuis cette Déclaration, les normes internationales relatives aux droits de l'être humain n'ont cessé de restreindre le champ d'application de la peine capitale. Aucune autorité, quelle que soit sa légitimité, ne peut interdire à ses citoyens de tuer, tout en continuant à s'arroger le droit d'infliger la mort. En outre, parce que les sociétés modernes comprennent qu'elles doivent être érigées sur des valeurs différentes de celles qu'elles condamnent, que les Codes pénaux actuels n'autorisent pas à incendier la maison de l'incendiaire, à violer le violeur ou à torturer le tortionnaire, d'autant plus que l'argument de la dissuasion n'est corroboré ni par les faits ni par les nombreuses études menées dans différents pays à l'aide de diverses méthodologies: il n'y a pas plus de crimes commis dans les pays abolitionnistes que dans les pays procédant à des exécutions. Bien au contraire, dans certains pays l'abolition a été suivie d'une diminution du nombre d'homicides. En Algérie, plusieurs facteurs favorables militent pour cette abolition: d'abord, l'Algérie a ratifié la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, et la charte arabe des droits de l'homme. Ensuite, l'Etat algérien, qui a gelé l'exécution de la peine capitale depuis 1993, vient de reconduire pour, la deuxième fois, son soutien à la résolution de l'ONU appelant à un moratoire sur les exécutions capitales. Et enfin, la Constitution accorde la primauté du droit international sur le droit national. Dans ce sillage, comment avez-vous accueilli la décision de commuer la peine de mort de Mohamed Gharbi en 20 ans de prison? Malgré l'obligation de réserve à laquelle nous sommes astreints, je dirais, selon mon avis personnel, que même la sanction de 20 ans ne constitue pas ce que mérite un combattant de la première heure pour la cause nationale et pour l'indépendance du pays, mais la décision de commuer la peine est toujours un acquis arraché au prix d'une grande mobilisation populaire grâce à l'engagement, au dynamisme et à la conviction du groupe «LMG» auquel je tiens à rendre hommage, ainsi qu'à toutes les bonnes volontés qui l'ont soutenu. Ce qui témoigne, si besoin est, qu'une mobilisation citoyenne organisée, pacifique, déterminée, persévérante et constante porte toujours ses fruits. On vous laisse le soin de conclure... «Il vaut mieux allumer une bougie que de maudire l'obscurité», c'est le principe évoqué par le sigle d'Amnesty International. Que tous ceux qui croient à ce principe viennent rejoindre les 2,2 millions de personnes qui militent à travers le monde pour une société plus juste, plus humaine, pour que les droits humains deviennent une réalité.