«Les tendances politiques, économiques ou monétaires actuelles peuvent, en fait, accentuer les disparités et créer des mouvements de protestation d'expression violente.» Le colloque international d'Alger sur le terrorisme s'est poursuivi avec une brève allocution d'André Glucksmann, qui a essayé de cerner les caractéristiques qui peuvent être décrites pour cerner un terrorisme. Le lieutenant-colonel Bouzghaïa a tenté de démon-trer le caractère transnational de la menace islamiste. S'ensuivirent des allocutions de François-Bernard Huyghe sur «Les vecteurs du terrorisme: des nihilistes aux cyber-terroristes», de Karim Marwa sur les «Référents du terrorisme, ses buts et ses résultats» et de Jean-François Dguzan, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) de Paris. Toutes ces personnes ont essayé, avec plus ou moins de succès, de cerner de près la nature évanescente du terrorisme. Pour le philosophe et écrivain André Glucksmann, un groupe terroriste peut se résumer à ces six caractéristiques: sa méthode, sa réalité mondiale, la menace de longue durée qu'il représente, sa nature transnationale, sa philosophie (style de vie) et son noyau nihiliste. Autre intervention remarquée, celle du lieutenant-colonel Bouzghaïa, lequel a axé toute son attention sur le caractère transnational du terrorisme islamiste radical «génétiquement totalitaire et violent, pour l'insérer dans le jeu démocratique». Le lieutenant-colonel fait sienne l'idée émise par Richard Labervière et qui suggère que «malgré son habillage de légitimité, d'insertion et de modération, l'islamisme (même) reconverti est susceptible, à tout moment, de s'embraser de nouveau et d'alimenter encore la barbarie». L'intervenant, en bon militaire, affirme que «la guerre n'est même pas commencée» et que l'«islamisme radical n'exprime pas une revendication identitaire». «C'est une dérive identitaire, une pathologie identitaire», dit-il «et à ce titre, il appartient aux musulmans eux-mêmes et à leurs élites en particulier de mener la lutte». Paul-Marie de la Gorce qu'on a interviewé en marge des travaux reste très sceptique. «Le terrorisme, a-t-il dit, est l'expression armée du fanatisme, et le fanatisme est le fait de refuser l'autre, de récuser son avis, et, en fait, de l'accuser.» «A ce titre, ajoute-t-il, il tend, où peut tendre, à s'étendre. Les tendances politiques, économiques ou monétaires actuelles peuvent, en fait, accentuer les disparités et créer des mouvements de protestation d'expression violente.» Il raconte cette histoire: «Pendant l'occupation coloniale française, vers 1958, les hommes du FLN avaient kidnappé deux moines religieux. Aussitôt, la direction politique du FLN mise au courant, s'empressa de demander aux auteurs du rapt de libérer les religieux. En 1996, le même scénario se produit, mais les hommes du GIA tuent les sept religieux français. Cette action est assimilable au terrorisme. La première est une Guerre de libération. En fait, je suis contre toute idée de jeter tous les mouvements armés dans une même cage et sous le même qualificatif. Ce qui se passe en Tchétchénie, en Palestine, en Algérie ou ailleurs mérite un traitement au cas par cas. Les nuances sont de taille, de même que les méthodes, les visées et les stratégies.» Pour Ahmed Merani, ex-membre du majlis echouri du FIS (parti dissous en mars 1992), et responsable du djihad armé proclamé par les groupes qui vivaient dans sa périphérie, le problème se pose à divers niveaux: «Tout d'abord, il y a lieu de souligner que les groupes islamistes modérés ont été politiquement éliminés. D'autres groupes, radicaux et nihilistes, qui ont versé carrément dans le banditisme, ont pris le relais. Bien entendu, l'islamisme étant à la mode depuis la moitié du XXe siècle, ces groupes extrémistes ont cherché à légitimer leur action par un habillage religieux. Le manque d'érudition et le peu de formation des imams en matière de spiritualité ont contribué à la confusion.» Au début de l'après-midi, les quatre ateliers ont entamé leur travail par des interventions et des débats, et l'on sentait qu'en l'absence d'un consensus autour de la notion même de «terrorisme» il y avait un engagement - justifié - des uns et une hésitation ostentatoire des autres. C'est la face visible de la guerre entre les «faucons» et les «colombes».