En fin de parcours, c'est le consommateur qui paie le plus. «C'est l'anarchie totale qui règne au marché de gros des denrées alimentaires. Les prix changent du jour au lendemain!», peste ce commerçant grossiste M.C du quartier Jolie Vue, qui s'exprime ainsi sous couvert de l'anonymat. Pour rappel, lors du dernier Conseil des ministres, le président Bouteflika avait ordonné à l'Exécutif de «fixer, en concertation avec les opérateurs et associations concernés, les marges de prix plafonds applicables pour ces produits et leurs dérivés, à la production ou à l'importation». Cette mesure devant être appliquée, a précisé le chef de l'Etat, «au niveau de la distribution et de la vente au détail, et d'impliquer les pouvoirs publics dans l'approvisionnement et la régulation du marché local en produits alimentaires de base». Cette mesure stabilisatrice est, rappelle-t-on, «déjà effective pour le blé et le lait, vient d'être élargie au sucre et à l'huile alimentaire». «La caverne d'Ali Baba», c'est cette image que nous renvoie le vaste local de commerce en gros auquel s'adonne notre interlocuteur, propriétaire des lieux et néanmoins universitaire. Très légaliste, ce négociant, installé depuis fort longtemps dans ce quartier de fort négoce, n'y va pas avec le dos de la cuillère pour dénoncer les perturbations constatées dans la fixation des prix des denrées de première nécessité notamment l'huile alimentaire livrée par le groupe «Cevital». En effet, alors qu'ils s'étaient entendus pour commercialiser ce produit à un prix unitaire commun, les cinq dépositaires de ce groupe, installés à Semmar, Bitrouta, Boudouaou, Baba Ali et Chéraga, «n'appliquent plus les mêmes prix après que celui de Boudouaou, selon lui, ait cassé les prix en vendant à quelques dinars moins cher les bonbonnes de 5 litres d'huile de table.» Cet article est passé allègrement de 575 DA en gros la bonbonne à 580 DA en quelques jours avec «sa répercussion inévitable sur le prix du détail». Il ne cite cet exemple que pour tenter d'expliquer la valse des prix à laquelle se livrent actuellement les négociants. Par ailleurs, Cevital devait rembourser 163 DA par fiasque de 5 litres aux commerçants ayant acquis des stocks à des prix supérieurs. Ces 163 DA représentent cet écart du prix qui a grimpé de 565 DA à 728 DA. «A ce jour, rien n'a été fait» regrette-t-il. Il précise que «le dépositaire nous renvoie à Cevital et ce dernier aux autorités du département du commerce,» et de se questionner d'un air dépité: «Où est donc l'Etat?» Poursuivant son amer constat, ce négociant s'interroge sur «les taxes et impôts incongrus perçus par l'Etat.» Il en dresse la liste en citant 2,5% de taxe sur l'activité industrielle et commerciale - Taic), 4,5% sur la taxe sur l'activité professionnelle - TAP), 2,5% sur l'impôt sur le revenu global - IRG). Et la «cerise sur le gâteau» dit-il, revient à la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) qui s'élève à pas moins de 17%. Le rabaissement des taxes de 41% sur les produits alimentaires de base (sucre, huile et farine) renseigne succinctement sur le montant total de ces taxes qu'il a qualifiées d'«incroyables», déplore-t-il encore. Notre interlocuteur s'est, par ailleurs, plaint de la concurrence déloyale alimentée par le commerce informel. Il cite l'exemple de «la bouteille de Coca Cola de deux litres qui se vend au quartier de Semmar à 57 DA l'unité, soit au même prix d'usine.» Cette concurrence déloyale s'explique par la possession à outrance de registres du commerce falsifiés, dit-il encore, en indiquant que «peu de grossistes travaillent au réel, c'est-à-dire avec facturation. Les frais de gestion ne sont ni déclarés ni remboursés du reste.» Allant plus loin dans ses dires, ce négociant explique que les dépositaires et grossistes divers, qui atteignent un certain seuil de vente, obtiennent une réduction de 2% sur l'ensemble des achats effectués durant toute l'année. Ceci explique la liquidation des marchandises à très bas prix ou, à la rigueur, au prix de revient, ceci juste pour atteindre ce fameux seuil réductible. Cette méthode s'apparente tout simplement à l'informel, souligne encore notre grossiste. Certains commerçants usent également des crédits à terme allant de un à six mois et même d'une année en payant par tranches avant terme. Ce procédé permet d'avoir des liquidités disponibles et constantes. Indirectement, le consommateur achète au prix réel et même parfois au prix d'usine, et...c'est la débandade sur les prix réguliers qui s'installe. Abordant, à la demande de notre journaliste, la question de la facturation, il a soutenu mordicus que «le consommateur sera lésé» de par la répercussion directe et négative sur lui. Donnant des détails sur la vente d'une bonbonne de 5 litres d'huile, il dira qu'«actuellement, le grossiste la paie 550 DA, il prend 10% de bénéfice pour la céder à son tour 555 DA. Avec facture, il paiera ce produit à 600 DA lequel sera proposé au consommateur à 720 DA après prélèvement de 20% réglementaires de marge bénéficiaire. Ceci équivaut en fin de compte à 30% d'augmentation et c'est le consommateur qui trinque», s'est-il exclamé. Parlant des «déboires» vécus quotidiennement par le grossiste, il a cité son propre exemple en s'acquittant d'une somme de 8760 DA pour une simple radiation du registre du commerce dont 4000 sont perçus par les impôts que ce soit pour une création ou une radiation, peu importe. Pourquoi? s'est-il encore interrogé. Il n'a pas manqué, non plus, de dénoncer l'Union générale des commerçants et artisans algériens (Ugcaa) qui, dit-il, «n'intervient jamais lorsqu'un commerçant a des problèmes avec l'Etat. Le seul avantage est la délivrance d'une attestation d'adhésion à cette union (1200 à 1600 DA/an) qui permet une réduction sur le coût de la police d'assurance des véhicules». Comme mot de la fin, notre interlocuteur a ajouté dans sa disponibilité communicative que c'est «l'augmentation du prix du sucre qui effraie le plus car il entre dans 80% du prix de revient des denrées contenant du sucre.»