Les révoltes pacifiques contredisent le credo selon lequel seuls la violence, le jihad et la lutte armée peuvent venir à bout de ce qu'ils considèrent comme des régimes impies, soutenus par l'Occident et oppresseurs de leurs peuples. Les soulèvements populaires pacifiques dans le Monde arabe, leur succès en Tunisie et leurs éventuelles victoires ailleurs sont déjà des revers et pourraient être des catastrophes pour Al Qaîda et les mouvements jihadistes, estiment des spécialistes. Ils contredisent en effet leur credo selon lequel seuls la violence, le jihad et la lutte armée peuvent venir à bout de ce qu'ils considèrent comme des régimes impies, soutenus par l'Occident et oppresseurs de leurs peuples. Ce qui se passe en Egypte «dément toute la théorie du recours à la violence» assure, depuis la place Tahrir au Caire où elle est venue observer la situation, Maha Azzam, du programme «Moyen-Orient» du centre de réflexion londonien Chatham House. «Tous les groupes en Egypte, y compris les Frères Musulmans, réclament une transition démocratique du pouvoir. Ils condamnent tous la violence politique. S'ils y parviennent et si la transition est pacifique, si cela aboutit à un système politique incluant tout le monde, cela se fera au détriment des groupes radicaux», affirme-t-elle. Al Qaîda, dont le cofondateur aux côtés d'Oussama Ben Laden est l'Egyptien Ayman Al-Zawahiri, a de longue date condamné la participation aux élections et à toute forme de vie politique. Les Frères musulmans, sous l'étiquette «indépendants» qui ne trompait personne, ont présenté des candidats aux législatives de novembre en Egypte et ont condamné les assassinats, les attentats et la violence aveugle. Pour Dominique Thomas, spécialiste de l'islamisme radical à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehhess), «les groupes jihadistes sont à la croisée des chemins: si les événements font boule de neige, suscitent des vocations démocratiques dans la région et que les peuples parviennent à renverser des dictatures sous la seule pression de la rue, ce sera une réfutation cinglante de leurs thèses». «Si c'est par le peuple que les régimes tombent, Al Qaîda et les groupes jihadistes auront du mal à rebondir et à adapter leur discours», ajoute-t-il. «D'ailleurs, face à l'effervescence actuelle, il faut remarquer qu'ils sont étrangement silencieux. Ils sont sans doute embarrassés. Il va falloir que Ben Laden ou mieux, l'Egyptien Al-Zawahiri s'expriment rapidement, faute de quoi leur discours perdra toute substance». Un silence que remarque également Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris et à l'Université Columbia: «Al Qaîda a été complètement prise de court par la contestation populaire dans le Monde arabe». «Elle est d'ailleurs pratiquement silencieuse sur ce sujet, car incapable de proférer le moindre commentaire d'actualité, tant cette nouvelle donne la dépasse», dit-il. Il faut remarquer que «les manifestants ne prennent pas des risques physiques incontestables pour demander «l'Etat islamique» ou l'établissement d'un «califat», mais pour exiger la démocratie, les élections et la transparence du pouvoir, tous concepts absents de la vision d'Al Qaîda», ajoute M.Filiu. Le danger d'une coupure avec les peuples de la région et d'une marginalisation a été senti par un cyberprédicateur radical, Abou Moundhir al-Shanqiti, qui écrivait le 31 janvier sur un forum jihadiste: «Ce serait une dangereuse erreur pour les jihadistes de s'éloigner des peuples». «Nous devrions leur pardonner, nous rapprocher d'eux et les supplier de nous écouter, car séparer le mouvement jihadiste du mouvement musulman populaire signerait notre fin», écrivait-il, dans une contribution traduite par l'institut américain de surveillance des sites islamistes Site. En revanche, soulignent les trois experts, un échec du mouvement démocratique, une répression aveugle ou des coups d'Etat militaires seraient une aubaine et une validation de leurs thèses pour les partisans de l'islamisme radical.