Toute la carte géostratégique du Moyen-Orient se dessinera sur la base de ce qui sortira de la Révolution des enfants du Nil. Le Conseil suprême de l'Armée égyptienne, dépositaire du pouvoir après la chute du président Hosni Moubarak, a déclaré, hier, qu'il soutient, compte tenu de la volonté du peuple, la suprématie du civil sur le militaire! Les hauts officiers de l'Armée ont ainsi promis une «transition pacifique vers un pouvoir civil élu» et assuré que «l'Egypte respecterait tous les traités régionaux et internationaux qu'elle a signés». «L'Armée s'engage à une transition pacifique du pouvoir, qui préparera le terrain à un pouvoir civil élu en vue de construire un Etat démocratique libre», a fait savoir le Conseil suprême de l'Armée, dans un texte lu par un de ses membres à la télévision d'Etat, en indiquant également que «l'actuel gouvernement et les gouverneurs continueront de travailler jusqu'à ce qu'un nouveau gouvernement soit formé, dans un proche avenir». Décidément, les militaires détiennent les rênes du pouvoir en Egypte. Néanmoins, la question qui se pose, aujourd'hui, est de savoir si ce qui est salué, comme un triomphe du peuple ne s'avère pas, une fois de plus, une prise de pouvoir militaire qui, s'est renouvelée en Egypte? Car, tout dépend, en fait, de la manière dont l'armée utilisera son pouvoir. Ainsi, le Conseil suprême de l'Armée a, selon la presse égyptienne, engagé des concertations avec la direction de la Cour constitutionnelle pour «examiner les prochaines mesures à prendre et la volonté de l'armée d'accompagner le contrôle de la situation d'une réforme constitutionnelle à même de satisfaire les revendications du peuple et de répondre à ses aspirations». Les chefs militaires actuels sont, il est utile de le noter, les héritiers des officiers qui ont mis fin à la monarchie en 1952 et établi les contours d'un régime dont l'armée est à la fois la garante et une grande bénéficiaire. L'Armée égyptienne a, de même, donné au pays tous ses présidents -Mohamed Naguib, Gamal Abdel Nasser, Anouar El-Sadate et Hosni Moubarak. D'ores et déjà, les capitales étrangères s'interrogent sur ce que leur réserve la «New Egypte», centre névralgique du Monde arabe. En effet, toute la carte géostratégique de la région du Moyen-Orient et par extension du monde, se dessine à la base de ce qui sortira de la Révolution des enfants du Nil. Du côté de l'opposition, celle-ci a fait savoir que la préservation des acquis de la révolution du 25 janvier constitue une responsabilité partagée entre l'armée et le peuple. Ainsi, l'Association nationale pour le changement en Egypte, dirigée par l'opposant Mohamed el Baradei, a réitéré son appel à la création d'un «Conseil présidentiel» assumant les pouvoirs du président de la République et regroupant trois personnalités dont un militaire, se disant convaincue que «l'armée sera à l'écoute des revendications du peuple» et assumera son devoir national dans la défense de ses aspirations légitimes à la liberté, à la justice sociale et à la dignité. Le parti Al Wafd a proposé, quant à lui, une initiative visant à «garantir le retour du calme et de la sérénité au pays», consistant en neuf points dont la dissolution immédiate du Parlement, l'annonce par la commission constitutionnelle d'amendements constitutionnels et législatifs qui seront soumis à référendum au début mars prochain. Le parti Al Wafd a aussi appelé à des élections législatives dans les 90 jours, à la promulgation de nouvelles lois régissant l'exercice des droits politiques, le Parlement et les partis politiques et à l'organisation d'une élection présidentielle à l'issue de laquelle le président élu appellera à une Assemblée constituante chargée de l'élaboration d'une nouvelle Constitution à même de garantir l'alternance au pouvoir. Des collectifs et cercles de jeunes manifestants, à l'origine du soulèvement du peuple, soulignent que des acquis ont été certes réalisés jusqu'ici, néanmoins beaucoup reste à faire. Car, soutiennent-ils, il faut rendre au peuple sa liberté et lui ouvrir les champs politiques et médiatiques et suspendre, par ailleurs, les tribunaux militaires et leurs jugements rendus contre des militants politiques, associatifs et animateurs des droits de l'homme. Enfin, il est à signaler que la marche de l'Egypte vers la liberté politique ne fait que commencer.