Gül, le numéro deux des islamistes, brigue aujourd'hui une deuxième fois la présidence de la République. Cette fois, il est sûr d'occuper le bureau de Mustafa Kemal, le père de la laïcité turque… Le premier tour de ces élections se déroule au Parlement turc qui doit désigner le 11e président de la République et, sauf imprévu, le processus devrait aboutir à l'élection du ministre des AE du gouvernement islamiste, Abdullah Gül. Le nouveau président turc, qui sera choisi par les députés fraîchement installés pour un unique septennat, occupe des fonctions largement symboliques, mais nomme les hauts fonctionnaires d'institutions-clés, tels les juges de la Cour constitutionnelle, et a surtout un droit de regard sur les lois adoptées par le Parlement. De fait, c'est le garant de la laïcité, instaurée au début du siècle dernier par Mustafa Kemal, sur laquelle l'armée veille scrupuleusement, au point d'avoir essayé de balayer la mouvance islamiste lors des législatives anticipées de juin. L'AKP, au pouvoir depuis 2002, a remporté haut la main les élections législatives anticipées organisées le 22 juillet et dispose d'une majorité écrasante de 340 élus à l'Assemblée. Aussi, si Gül ne passe pas dès le premier ou le deuxième tour du scrutin, son Parti de la justice et du développement (AKP) ne disposant pas des deux tiers des 550 députés, il est cependant assuré de passer lors du troisième tour, le 28 août, quand une majorité absolue de 276 voix suffira. L'armée ne pourra pas faire grand-chose, ayant épuisé toutes les procédures d'empêchement à l'accès des islamistes à la magistrature suprême. La candidature de Gül en avril et mai avait provoqué une levée de boucliers des milieux laïcs, provoquant des manifestations géantes à travers la Turquie musulmane mais laïque. Cependant, les dernières législatives ont confirmé la popularité des islamistes qui, eux, jurent respecter les principes kémalistes. La Turquie est, par ailleurs, considérée comme un laboratoire où est expérimenté la démocratie musulmane, à l'image de la démocratie chrétienne. Avec le même succès. L'armée, gardienne des principes séculiers, n'est plus en mesure d'intervenir, sauf à organiser un coup de force, ce qui est inenvisageable. La Turquie ne peut pas se payer une autre grave crise institutionnelle, d'autant qu'elle frappe avec insistance aux portes de l'UE. En outre, le patronat turc a trouvé tout son compte avec le Premier ministre islamiste, Recep Tayyip Erdogan. Son parti estime que son succès électoral lui donne le droit politique et moral d'occuper le bureau de Mustafa Kemal, démontrant par le même biais que la Turquie est gouvernée par la classe politique et non plus par l'armée. Il y a dix ans, les généraux turcs n'avaient pas hésité à renverser un gouvernement jugé trop islamiste et dans lequel Gül avait rang de ministre d'Etat. Celui-ci n'a pas arrêté depuis avril de dissiper les craintes de ses concitoyens laïcs, promettant de demeurer attaché aux valeurs républicaines dont la laïcité, principe fondateur de la République turque. Tant et si bien que les laïcs n'ayant plus rien à redire, eux qui reprochent à son épouse le port du voile, considéré par les plus sourcilleux d'entre eux comme une volonté d'appartenance à l'islam politique. Gül a également l'appui des Etats-Unis et au sein de l'UE, dès lors qu'il a signalé qu'il serait un président engagé dans la politique étrangère de son pays. Une question tout de même : qu'adviendra-t-il de l'accord militaire turco-israélien, “stratégique et secret” ? Réponse : Washington veillera au grain. D. Bouatta