Ils s'appellent Khalti Zouina, Halim, Salim, Kheïra...Leur point commun : ils sont sans-abri... Nous les avons côtoyés du mieux que nous avons pu durant presque 24 heures. Jeudi de bon matin. La ville est presque déserte, car la plupart des administrations sont fermées. Un semblant d'animation voit le jour. Il est 8h, les lycéens s'en vont affronter une demi-journée d'étude. Nos SDF sont toujours endormis. La température avoisine zéro degré. Le verglas s'est installé et le froid est bien une réalité. Le journal est arrivé depuis une heure déjà et les assidus lecteurs sont plongés dans une lecture profonde. Le va-et-vient des scolarisés a sensiblement diminué. Les retardataires, mal réveillés, pressent le pas. Il est 8h 30, Khalti Zouina se réveille, d'un geste machinal, recouvre la personne endormie à ses côtés de sa modeste couverture. D'un sachet noir, elle sort un chiffon qui lui sert de serviette et se lave le visage à l'aide d'un jerrican jaune. Elle grelotte. Elle se lève, ramasse des papiers, du bois et allume un feu. elle semble intriguée par notre présence, 9h. Ses compagnons de fortune se réveillent. Les visages blêmes, les yeux hagards, elle se prépare à affronter un nouveau jour. Les «matelas» et autres couvertures sont soigneusement pliés et attachés avec des morceaux de tissu. Ils sont dissimulés dans un buisson mitoyen à un kiosque. Une sorte de «réunion» se tient. On sera mis plus tard au parfum. Chacun devait se débrouiller afin de «préparer» le f'tour collectif. Nous préférons nous adresser à Salim, la quarantaine dépassée. Il nous apprendra qu'ils vont «mendier» et à la fin de la journée, ils se retrouvent dans cet abri de fortune. A notre question, s'ils n'avaient pas bénéficié du couffin du ramadan, il reste silencieux avec un sourire moqueur. Message reçu 5 sur 5. Nous convenons de le suivre de loin pour ne pas le gêner. Destination: le marché du centre-ville, il est presque 10h, le marché grouille déjà. Notre bonhomme se rince les yeux sans broncher. Un marchand de légumes l'interpelle et lui remet un sachet noir. La journée commence bien. La ville s'anime et les vendeurs à la criée montrent de l'entrain et ne prêtent pas attention à cette frêle silhouette qui se glisse furtivement parmi eux. Salim se dirige vers une boulangerie. Il s'installe aux côtés de femmes âgées. Les clients y affluent déjà. La boulangerie propose différents pains. Des baguettes sont distribuées aux personnes, qui «campent» aux abords de la boulangerie, par les clients. Une heure plus tard, on quitte les lieux. Le pain est assuré. Notre bonhomme fait le tour des magasins non pour faire ses emplettes comme on pourrait le croire. Il tend la main pour quelques pièces. 12h 30, destination la mosquée. Certains fidèles font la charité. Après la prière, retour au jardin public. Nos SDF arrivent les uns après les autres. ils font le point. La journée a été bonne, le «butin» est passé en revue. Il y avait de la zlabia, des fruits, du pain et des sachets de lait (achetés grâce aux pièces récoltées). Pas de traces de viande ni d'un quelconque repas chaud. Les bancs publics sont tous occupés. Les retraités viennent y lire leurs journaux. Le climat s'est adouci. Khalti Zouina manque à l'appel. Elle, elle passe dans certaines maisons pour y faire le ménage, question d'assurer la chorba. Elle ne les rejoindra que vers 17h. 14h, la circulation s'intensifie. Deux adolescentes pénètrent dans le jardin. Les regards interrogateurs les suivent. L'une porte une sorte de glacière. Elle la remet à Kheïra et s'éloigne. Il y a un peu de dinde et des pommes de terre rôties. La manette de la solidarité humaine et anonyme semble avoir été activée. Elles ont l'habitude de nous ramener de quoi nous nourrir dès que cela leur est possible. L'après-midi est bien entamée et dans la ville, on n'attend plus que l'appel du muezzin pour rompre le jeûne. La vieille Zouina arrive en lançant des «hamdoulillah». On devine que le repas chaud est assuré. Une chorba frik avec de la viande. Nous prîmes congé pour une heure, un peu gênés, mais désarmés... 19h, retour au point de chute. Toute «l'équipe» est au grand complet sirotant des cafés chauds ramenés du café d'en face. Nous apprîmes qu'un bienfaiteur leur a donné un rendez-vous pour les inviter chez lui, vendredi. Un semblant d'animation s'empare des allées de Blida. Nos SDF prennent place sur un banc. L'indifférence des passants, ils s'y sont habitués. Des jeunes ramènent des boissons gazeuses et du kalbellouz qui sont les bienvenus. Certains passants, gênés peut-être par le spectacle, glissent de la monnaie dans les mains de la vieille Zouina. Elle ne le refuse pas, il faut bien se préparer à affronter une autre journée de jeûne. Aux environs de minuit, quand le mouvement s'atténue, on s'installe dans un café et on se permet des pains au chocolat et du lait chaud. On offre à nos «oubliés» des gâteaux et de l'eau minérale avant de les quitter. Ils rejoindront leur abri pour y affronter encore le froid glacial qui a commencé à s'installer. Une malade mentale vient les rejoindre par instinct. Elle a trouvé de quoi se nourrir auprès d'eux.