Optons-nous pour un régime hybride c'est-à-dire mi-présidentiel mi-parlementaire? Cinquante ans après l'indépendance de notre pays, il est temps de regarder la réalité en face. Au fil des mouvements de libération nationale des peuples jadis sous domination coloniale des puissances occidentales, l'échiquier des relations internationales est en train de redessiner une nouvelle carte planétaire. A l'évidence, ce que nous vivons aujourd'hui comme «Printemps arabe», est le résultat de cette crise globale qui nous invite à repenser fondamentalement le système de régulation des Etats, c'est-à-dire des gouvernants et la gouvernance des sociétés dont ils ont la charge. En clair, cela suppose qu'il faille prendre en considération les nouvelles données géopolitiques. Nous sommes en phase à une remise en ordre dictée par une redéfinition globale et ouverte des textes qui sous-tendront les institutions telles que les voudraient voir les peuples au-delà de toutes tendances autoritaristes. Nous traversons les grands moments de réorganisation totalement différents du panarabisme. La question démocratique est au coeur des nouvelles mutations que connaissent les pays arabes. A l'horizon de la deuxième décennie de ce Millénaire, les modes de gouvernance des institutions sont en train de changer en même temps que se profile une récession mondiale pouvant menacer de dislocation socioéconomique la presque totalité des pays en développement. Cette récession, qui trouve son origine dans les secteurs financiers des pays occidentaux, va avoir un effet néfaste sur les salaires, l'emploi et les programmes sociaux. Ce spectre de récession mondiale est en somme une des motivations qui, sous le parapluie de la gouvernance démocratique, reprend dans une grande mesure un partage des zones d'influence au seul objectif de mettre la main sur les richesses du sous-sol des pays anciennement colonisés. Ceci permettrait aux économies occidentales d'avoir des débouchés pour leurs entreprises au seuil d'un dépôt de bilans, à renflouer leur cash-flow dans les marchés appelant à la reconstruction des désastres causés par les conflits et les guerres civiles. Peut-être faudrait-il du temps pour comprendre ce qui se passe dans le Monde arabe pour anticiper et porter des appréciations de ce genre? Mais la nature des inégalités et la mauvaise gouvernance dans ces pays a poussé vers ce séisme et précipité la militance d'un genre nouveau (Facebook) où la rue devient la véritable détentrice de la décision systémique. C'est dans le sillage du discours et des réformes annoncées par le Président de la République que je voudrais apporter cette contribution qui, de mon point de vue, s'articule sur les grands axes d'une réflexion attendue. La commission constitutionnelle qui sera créée fera participer les courants politiques agissants et des experts en droit constitutionnel. Cette dernière saura être à l'écoute de toutes les bonnes volontés en mesure de réfléchir sur les textes ainsi annoncés (la révision constitutionnelle, la loi électorale, la loi relative aux partis et la loi sur l'information). Le champ de compétence de l'Exécutif C'est d'une Algérie solidaire et plus confiante entraînant une perception d'un avenir plus prometteur pour les générations et d'une compréhension commune des défis et des espoirs partagés, que ces réformes doivent y répondre. 1-Les procédures d'amendement se feront par un comité consultatif ou à défaut par un comité représentatif des différentes sensibilités de la classe politique et de la société civile. 2-La révision constitutionnelle est tellement chose trop sérieuse qui nécessite l'apport des élites nationales entendu par là les élites politiques et l'intelligentsia. 3- Au niveau du champ de compétence en période ordinaire ou extraordinaire, définir avec précision l'initiative de chacun du Président de la République, du Chef de l'Etat, du Premier ministre, du président du Conseil constitutionnel, du président du Conseil de la Nation, du président du Conseil de Sécurité. 4- Préciser la nuance entre la mise de fin de fonction du Premier ministre et de sa révocation. 5- Est-ce que tous les traités sont ratifiés par le Président de la République? Existe-il des traités qui soient ratifiés après autorisation de l'APN? 6-Le Président doit-il être informé de toute négociation tendant à la conclusion d'un accord international non soumis à ratification (accords secrets)? 7- Il faut clarifier le domaine de la promulgation des lois et le pouvoir sur les sessions ordinaires et extraordinaires. Les sessions ordinaires sont fixées par la Constitution échappant à la compétence du Président de la République ou du Premier ministre. 8- Le droit de Message et de dissolution de l'APN est-il seulement des prérogatives du Président de la République? Doit-il prendre l'avis du Premier ministre et des deux chambres dans le cas d'une cohabitation? Peut-il y avoir deux dissolutions dans l'intervalle d'un an? 9- Le Président peut soumettre au référendum des dispositions législatives. Le référendum peut-il être décidé par le chef de l'Etat sur proposition du gouvernement durant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées. Le chef de l'Etat qui peut ne pas être le Président de la République a-t-il l'initiative du référendum et dans quelles conditions? Peut-on énumérer les projets de loi, c'est-à-dire, des textes d'initiative gouvernementale ou des propositions de lois qui peuvent être soumis au référendum? 10- Au niveau des pouvoirs juridictionnels, le Président a des prérogatives qui lui permettent d'agir sur le pouvoir judiciaire dans le fonctionnement du Conseil constitutionnel, du Conseil supérieur de la magistrature dont il dispose du droit de grâce. Quelle Constitution pour l'Algérie? 11- Pour le Conseil constitutionnel doit-on garder la même structure c'est-à-dire que le Président nomme trois des neuf membres du Conseil; les autres sont élus par l'APN et le Conseil de la Nation à raison de trois par chambre. Là, il faut voir si les présidents des deux chambres nomment leurs représentants par désignation ou par élection de leurs pairs? Le président du Conseil constitutionnel est nommé par le Président de la République. Prévoir son domaine de compétence. Ce dernier ne doit exercer sa juridiction que s'il est saisi par le Président de la République, le Premier ministre et les deux présidents des deux chambres. Peut-on l'élargir à d'autres le droit de saisine? 12- Est-ce que la nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature reste de la seule prérogative du Président de la République? Une loi organique doit définir et fixer les conditions de désignation, d'où on doit apporter les modifications sur le statut de la magistrature. Le droit de grâce doit-il s'exercer avec ou contre seing ministériel? 13- En période exceptionnelle, lorsque le pays est menacé d'une manière grave et immédiate doit-il se substituer au gouvernement et aux deux chambres en vue de prendre les mesures qui seront soumises au Conseil constitutionnel consulté pour avis ou au Conseil de sécurité qu'il préside? 14- Qui mettra le Président de la République en accusation devant la Haute Cour de l'Etat s'il abuse des pouvoirs exceptionnels qui lui sont attribués? 15- Pour nommer le Premier ministre, le Président de la République est-il obligé de consulter les chefs de partis de la majorité? Le Premier ministre choisit-il ses ministres que le Président de la République soit obligé de nommer dans le cas d'un régime où ses attributions lui confèrent cette initiative? 16- Le gouvernement présente son programme et engage sa responsabilité devant l'APN dans les deux cas présidentiel et parlementaire. S'il y a vote de confiance, il est définitivement investi. Le Conseil de la Nation comme deuxième chambre n'est pas consulté. Est-ce que le Conseil de la Nation peut-il légiférer dans le nouveau corpus de la Constitution? Le bicamérisme serait-il retenu dans la nouvelle mouture? Irons-nous vers un système parlementaire ou présidentiel? Optons-nous pour un régime hybride c'est-à-dire mi présidentiel mi parlementaire? Vers quel modèle constitutionnel doit-on nous acheminer? Serait-il de type américain? français? brésilien? spécifique? A toutes ces questions nous retiendrons celui qui restructure le mieux nos institutions politiques dans l'esprit des droits de l'homme et du génie propre de notre peuple. 17- Le Président de la République nomme le Premier ministre? Il ne le révoque pas. Il met fin à ses fonctions lorsque l'APN a renversé le gouvernement ou lorsque le Premier ministre présente sa démission. 18- Le Premier ministre anime et dirige l'action du gouvernement et l'ensemble de la politique gouvernementale. Il a attribution du pouvoir exécutif et réglementaire. Peut-il révoquer ou mettre fin à ses ministres? Quel est le domaine des incompatibilités et de la hiérarchie ministérielle? 19- Dans le cas du régime parlementaire ou semi-présidentiel, si le Premier ministre révoque ses ministres, le Président est-il obligé d'entériner la décision du Premier ministre? Une loi n'est adoptée que si les deux chambres ont voté un texte identique. Une loi organique définit les relations entre les deux chambres du Parlement. 20- Une loi organique doit être élaborée pour définir le cadre législatif et juridique dans la création des partis politiques. Ces derniers une fois agréés peuvent s'engager dans les compétitions électorales. Pour donner crédibilité à la création d'un parti, il faut au moins qu'il recueille 500 ou plus d'adhérents dans chaque wilaya. 21- Que son programme politique ne repose pas sur le régionalisme ou sur des thèses en contradiction avec les valeurs intrinsèques de notre peuple ou sur toute forme de violence. 22- Dans la révision constitutionnelle, il serait judicieux de mettre dans le corpus un article de ne pas réprimer les manifestations de liberté de pensée qui ne touche pas à l'intégrité du territoire ou aux valeurs et symboles de la République. Une majorité ne doit nullement opprimer une minorité. 23- Pour ce qui est de la loi électorale et du mode de scrutin, la représentation proportionnelle consiste à attribuer à chaque liste un nombre de députés proportionnel au nombre de voix qu'elle a obtenues. Le premier siège étant attribué dans ce cas à la liste qui vient en tête. Ensuite, on attribue le deuxième siège à chacune des listes en calculant la moyenne des voix représentées par chaque siège: la liste qui a la plus forte moyenne obtient le deuxième siège. Et on procède de la même façon pour le troisième siège et ainsi de suite. Cette démarche favorise surtout les grands partis. 24- Pour ce qui est du scrutin majoritaire à deux tours, il est connu que celui qui est élu doit obtenir au premier tour la majorité absolue des suffrages exprimés, c'est-à-dire «la moitié plus un» et un nombre de voix égal au quart des électeurs inscrits. Le deuxième tour se fera si ces conditions ne sont pas réunies. Le second tour permet à celui qui a eu la majorité relative d'être élu, c'est-à-dire arrivant en tête. 25- L'adoption d'un système électoral de scrutin électoral majoritaire et d'un découpage électoral peut engendrer une iniquité excessive entre les formations politiques dans le rapport entre le nombre de voix qu'elles ont obtenues et le nombre de sièges acquis. Il en est de même pour une reconsidération dans le découpage de la circonscription électorale qui doit être défini en fonction d'une possible représentation liant le caractère national à la spécificité locale. 26- Le territoire géographique de la circonscription et la vision tribale ne doivent pas nuire à une représentation de qualité lorsqu'il s'agit de débattre de la chose publique et des textes de lois qui ont une portée stratégique nationale du devenir de la Nation. 27- La représentation proportionnelle est sans doute la mieux qui justifie à mon sens une présence positive de l'élu de demain dans notre paysage politique pluriel. Le scrutin de la proportionnelle a révélé dans de nombreux pays son efficacité quant à l'émancipation et le développement de la démocratie et du multipartisme 28- La dépénalisation de la presse annoncée par le Président de la République aide à la diversification du débat contradictoire. Le Code de l'information et la Charte d'éthique de la profession doivent permettre l'émergence d'une presse libre, plus variée protégeant le journaliste et les éditeurs en leur imposant les droits et les devoirs. 29- Il faut que les normes déontologiques, qui sont en fait la base du code de conduite, soient imposées aux journalistes par leurs entreprises, publiques ou privées, c'est-à-dire que la déontologie soit le fait des médias eux-mêmes pour s'autocontrôler. Car l'éthique journalistique ne peut reposer que sur une quête de la vérité. 30- Si l'éthique est cet ensemble de principes qui fondent le jugement de valeur porté sur un acte intervenant comme puissance de questionnement du processus de l'information, la déontologie reste aussi du domaine de la profession, en ce sens qu'elle donne au journaliste professionnel le droit de formuler des règles à respecter pour bien agir. 31- Contre toute manipulation, le journaliste a l'obligation déontologique de vérifier constamment ses sources d'information. C'est un aspect prudentiel de la profession. La liberté d'expression ne peut pas être un prétexte pour devenir négatrice de toute valeur. Néanmoins, la presse reste un formidable contre-pouvoir et non un quatrième pouvoir que veulent lui donner certains. 32- La propension à vouloir trop contrôler les pratiques journalistiques à l'aune de repères déontologiques professionnels, peut menacer directement le sacro-saint droit à l'information, c'est-à-dire le droit du public à être informé. Un Conseil de l'ordre des journalistes 33- Un Conseil national de l'Ordre des journalistes s'il est retenu peut prononcer la suspension d'activité contre un journaliste coupable d'avoir transgressé les règles de déontologie. La publication de ces sanctions est supposée être un instrument dissuasif dans la profession et auprès du public. 34- Quant au journalisme d'investigation, il suppose de ne pas livrer des informations ou des faits douteux non vérifiés transmis par des sources fictives non authentifiées par le journaliste lui-même. C'est pourquoi il est souhaitable que le journaliste ait accès aux sources de l'information. 35- La loi sur la publicité doit permettre une meilleure agrégation pour que tous les titres aient la possibilité d'avoir recours dans le secteur public et dans le secteur privé à cette manne sans laquelle il serait illusoire de parler de pluralisme médiatique. 36- Dans notre monde d'aujourd'hui où les réseaux de communication sociale prennent le haut du pavé (Facebook, Twitter, YouTube...), le moment n'est-il pas venu de créer le Conseil de l'audiovisuel permettant de réguler et d'anticiper dans un monde qui régente les flux d'informations par satellites et être en totale adéquation avec cette révolution numérique? 37- Les seules conditions qui seront portées au cahier des charges, ce sont celles de ne pas attenter aux moeurs ou d'utiliser de l'argent sale pour s'offrir le luxe de créer une télévision privée. L'Etat par sa législation balise le cadre réglementaire. 38- C'est en ce sens qu'une démarche systématique de transformation opérationnelle doit toucher toutes les administrations publiques dans ce que le Rapport des réformes des missions de l'Etat est parvenu à inscrire. Il faut mettre la politique dans les normes et postuler à la légitimité par les urnes. Nos propositions doivent épouser les contours de l'évolution de la notion de gouvernance afin d'asseoir les bases d'un Etat moderne garant des libertés, du respect de la condition humaine et l'attachement aux valeurs civilisationnelles de notre peuple. N'est-ce pas cet extrait du discours de Son Exellence le Président de la République Abdelaziz Bouteflika, adressé le 15 Avril 2011 à la Nation qui résume bien cette démarche programmatique: «Nous sommes aujourd'hui appelés à aller de l'avant dans l'approfondissement du processus démocratique, le renforcement des bases de l'Etat de droit, la réduction des disparités et l'accélération du développement socioéconomique. Cette mission ambitieuse et décisive pour l'avenir de notre pays exige l'adhésion de la majorité, la participation de toutes les forces politiques et sociales et la contribution des compétences nationales.» Ainsi, la révision de plusieurs textes législatifs conforte s'il en est besoin l'exercice de la démocratie. Elle traduit cette volonté du Président de la République de renforcer l'édifice institutionnel du pays couronnant l'ensemble des réformes entreprises dans les différents chantiers qu'il avait entamés depuis la décennie écoulée. (*) Ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, ancien ministre