Dans les plis de sa transmission, il y a huit siècles de vie ´´andalouse´´ contemplative et raffinée léguée à l'Algérie et à tout le Maghreb arabe. Il ne s'agit pas - j'ose dire - seulement d'une musique de nostalgie, transmise de génération en génération, mais bel et bien d'un patrimoine arabo-andalou, notre bien absolu parmi tous nos arts absolus. Il faut s'assimiler, une fois pour toutes, que ce fonds musical constitue la splendeur de l'habillage d'une civilisation prestigieuse ayant évolué et s'est développée spécialement, d'abord dans les grands centres urbains puis par vagues successives et harmonieuses dans les agglomérations principales des campagnes maghrébines. Les spécialistes en sociologie et en anthropologie parlent de la notion de ´´rurbain´´: cité-médina et campagne-fahç. Le livre intitulé Le Chant andalou (*), présenté sous la direction de Nadir Marouf comprend quatorze articles, répartis sur trois thèmes principaux: Etat d'avancement des classifications musicales arabes; Les musiques de la cité; Acteurs sociaux du patrimoine, itinéraires et contextes historiques. Nous y relevons des noms connus dans le domaine de la musicologie, bien que de formations professionnelles diverses (médecin, sociologue, droit, lettres et sciences humaines, sciences économiques, didacticiens, enseignant-chercheur) occupant ou ayant occupé des postes de direc-teurs d'Institut, de centres, de département d'ethnomusicologie ou de musicologie, exerçant à Paris, Alger, Constantine, Oran, Tunis, Paris X, Paris VIII, Amsterdam. Ce sont: Abû Mrad Nidaa, Al Boudali Safir (célèbre musicologue algérien, ancien directeur artistique de Radio-Alger et fondateur de la chaîne arabe de musique radiophonique d'Alger en 1945, initiateur de nombreux festivals de musique classique algérienne dans les premières années d'indépendance de notre pays), Benazzouz Zineb, Dib Mohammed Souheil, Guettat Mahmoud, Hassan Scheherzade, Marouf Nadir, Mazouzi Bezza, Merdaci Abdelmadjid, Plenkers Léo, Soret Louis, Yamine Habib, Yellès-Chaouch Mourad et Yellès-Chaouch Djelloul. L'objectif de cet ouvrage collectif, conçu par Nadir Marouf, est de proposer à la réflexion «les actes d'un colloque international organisé à Lille en décembre 1991 sous l'Association Maqam». Ici, Nadir Marouf a tenu à s'écarter des «exposés monographiques, marqués quelquefois par l'érudition ethnographique, le ronron littéraire sur les origines et, d'une manière générale, le relent orientaliste». Effectivement, dans son introduction générale, en sa qualité de chercheur spécialiste en anthropologie sociale et culturelle et de directeur du Centre d'Etudes, de Formation et de Recherches en Sciences Sociales (Cfress), rattaché à l'Université de Picardie Jules Verne, Nadir Marouf, qui avait aussi été auparavant directeur de l'Urasc (université d'Oran), a clarifié le sujet du débat. Il y a deux raisons à cela: «l'une d'ordre social, voire politique, liée au contexte hexagonal d'une cohabitation, l'autre d'ordre académique, mais dont l'enjeu n'est pas négli-geable à long terme.» Sa riche Introduction générale dans laquelle il présente quelques problèmes de méthode relatifs à «la structure du répertoire andalou», sa contribution intitulée «Place et Signification de l'orientalisme dans le patrimoine musical algérien de l'Entre-deux-guerres» et ses mises en pages des annexes donnent le ton et le relief intelligent aux contributions justes, instructives et parfaitement inscrites dans l'esprit du débat. Et c'est celui «de la norme et de la marge, de l'urbain et du rural, de la dynamique du changement par laquelle s'opèrent ces distinctions dialectiques, sans pour autant tomber dans un formalisme désincarné.» Sans hésiter, on peut dire que le pari est gagné puisque «les praticiens de la musique conviés à en conférer» ont produit ou produiront un effet d'espérance sur la poursuite du débat en d'autres circonstances pour l'élever davantage, et toujours dans un déploiement de sincérité et d'amour pour ce patrimoine musical arabe dit ´´classique´´ par les uns, ´´arabo-andalou´´ par les autres, ´´savante´´, ´´san‘a´´ par d'autres encore,... Quelle est la valeur des autres intitulés: mouwachchah, zadjal, melhoûn, ‘aroûbî, hawzî,...? Ajoutons les sensibilités musicales régionales et les modes et les ordonnancements inspirés, intégrés ou assimilés telles que ces terminologies qui ont évidemment du sens pour le spécialiste ou même pour le mélomane amateur: maqâm, touboû‘,... Les auteurs cités ont, chacun à son tour, exposé leur sujet avec clarté et responsabilité, ce n'est pas inutile de le dire, car l'objectif de réaliser une synthèse scientifique n'est pas aisée d'emblée. Quoi qu'il en soit, Bagdad, Damas, Tlemcen, Oran, Nedroma, Alger, Constantine, Fès, Tunis, Le Caire,... et plus proches de nous les jeunes formations de Koléa, Blida, Cherchell, Béjaïa, Annaba,... constituent des repères concrets pour nous convaincre. Oui, d'abord nous convaincre nous-mêmes de l'urgence à préserver, sans cesse, «ces vastes constructions mélodiques» de notre patrimoine musical originaire de l'Andalousie arabe et musulmane et, par parenthèse, pour lequel - et d'autres avant lui et avec lui - le Maître Ahmed Serri épuise encore à son âge ses dernières énergies. «En effet, ainsi que l'écrivit le regretté érudit musicologue Safir El Boudali, l'héritage somptueux ne nous est pas parvenu dans son exubérante totalité. Livré en plein désastre à la fragile mémoire de quelques poignées de gardes fidèles et vigilants, il a fatalement subi les conséquences d'un système de transcription et de conservation aussi aléatoire. Des 24 modes que comportait l'ingénieuse, la géniale classification de Ziryab et de ses disciples, 15 seulement subsistent en Algérie et dans le Maghreb. Et sur les 15, 12 seulement restent suffisamment connus, pour offrir matière à la composition de nawba parfaites, c'est-à-dire de suites à peu près complètes.» Le Chant arabo-andalou, sous la direction de Nadir Marouf, faisant oeuvre de pédagogie, nous invite à la réflexion. Il nous engage à protéger et à revivifier la musique qui nous est parvenue de l'Andalousie arabe dès le XIIIe siècle, mais nous devons nous engager aussi à conserver tous nos biens nationaux ayant un caractère historique, artistique et esthétique, autrement dit tout ce qui constitue ce que l'on appelle aujourd'hui «patrimoine matériel et immatériel». (*) Le Chant arabo-andalou Sous la direction de Nadir marouf (Ouvrage publié avec le soutien du Ministère de la Culture, à l'occasion de la manifestation: «Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011») Casbah-Editions, Alger, 2011, 201 pages.