La Cour constitutionnelle turque examine, depuis lundi, une demande d´interdiction pour «activités antilaïques» du Parti de la Justice et du Développement (AKP, parti au pouvoir) en vue de son éventuelle dissolution. Ce qui serait une première à Ankara, et même unique dans les annales, pour un parti au pouvoir. C´est là, en fait, une suite logique des démêlés qui opposent la mouvance islamiste turque aux «gardiens» vigilants du dogme «kémaliste». Aussi, il y a de fortes possibilités, sinon probabilités, que l´AKP connaisse le sort réservé, par cette même Cour, à ses prédécesseurs du Parti de la Prospérité (RP) et de la Vertu (FP) sur les cendres duquel l´actuel Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a d´ailleurs fondé son Parti de la Justice et du Développement, qu´il définit comme un «parti démocrate-conservateur» respectueux de la laïcité. L´armée et la société civile, fermes champions de la laïcité, sont peu convaincues par cette profession de foi et les protestations démocratiques de l´AKP. C´est justement sur ce thème de la laïcité que l´AKP est attaqué, soupçonné de vouloir, en catimini, instaurer un régime islamiste, et voient dans l´amendement autorisant le port du voile à l´université comme un premier pas de l´offensive contre la laïcité. En fait, la dissolution des partis politiques, pour tentative ou soupçon de remise en cause de la laïcité, doctrine et fondement du kémalisme, est devenue un «classique» de la vie politique en Turquie dont le maître d´oeuvre en est la Cour constitutionnelle qui a, à son actif, l´interdiction de 24 partis, dont deux islamistes et plusieurs d´obédience kurde, depuis 1963. L´affaire risque donc d´ouvrir une nouvelle crise politique à Ankara au cas où la Cour décide l´interdiction de l´AKP en estimant fondée la demande portée contre lui par le procureur de la République pour menées antilaïques. De même, une telle issue pèserait lourd sur les négociations entre l´Union européenne et la Turque en vue de l´éventuelle adhésion de cette dernière au groupe européen, comme elle aura des répercussions directes sur les négociations sur Chypre, île partagée depuis 1974 entre les Chypriotes grecs et les Chypriotes turcs au moment où une solution négociée se profile. Pour corser le tout, il y aura l´ouverture, en octobre prochain, du procès de supposés auteurs d´une présumée tentative de renversement du gouvernement Erdogan. De nombreuses personnalités, parmi lesquelles des généraux à la retraite, comparaîtront dans l´affaire visant le réseau nationaliste dit «Ergenekon». C´est dire que la tension est actuellement vive en Turquie, aggravée par les accrochages de plus en plus meurtriers entre l´armée turque et les rebelles kurdes du PKK. Pour les anciens émules de Necmettin Erbacan, le premier chef de gouvernement islamiste en 1996, en Turquie, il y a comme un retour de manivelle. Les islamistes turcs convertis en «démocrates-conservateurs» dans l´ère du temps, restent, cependant, en butte à l´incrédulité des «modernistes». Ceci étant, il faut reconnaître, toutefois, que le gouvernement Erdogan a largement contribué à moderniser la Turquie et à dépoussiérer des lois souvent obsolètes, démontrant en fait la concordance entre sa philosophie de l´Islam et les règles de gouvernance partout ailleurs usitées.