La muselière n'est d'aucun secours puisque la triste réalité se lit sur les visages de ces personnes déplacées. Chassés par le terrorisme, ils se terrent dans un ghetto pour une souffrance lente et silencieuse. Sans une intervention urgente, le pire est à craindre pour quelque 3.000 âmes ayant fui l'hinterland montagneux de Mongorno. Le cauchemar de ces femmes, hommes et enfants commença lorsqu'ils durent s'enfuir à pied des douars de Baï Kyar, Menaâ, Krabib, Chaâbna, Draâ Tmar dans des conditions lamentables. Un trajet sur une piste boueuse nous a conduits au coeur de ces tombeaux en terre glaise et en tôle ondulée. La présence d'un journaliste suscite des appréhensions car, disent-ils: «Nous ne voulons pas avoir de problèmes». La muselière n'est d'aucun secours puisque la triste réalité se lit sur les visages de ces personnes déplacées vivant dans une situation désespérée. Leur arrivée a fait doubler, en quelques jours, la population de Zoubaïria, l'une des communes les plus pauvres de la wilaya et qui ne peut, par conséquent, leur fournir assistance En nous entretenant avec quelques habitants, nous étions loin de nous douter de la misère qui peuple près de 300 gourbis plantés dans le lit d'un oued. Mahmoud Benaïcha, la soixantaine, encore sous le choc d'avoir perdu son fils Djemil en 1997, s'approche: «A quoi bon vous faire le récit de mon malheur puisque à chaque fois, des gens viennent ici pour inspecter les lieux, prennent nos doléances et repartent. La mort est préférable à une existence pareille.» Le cas le plus dramatique est celui de Abdelkader Fani, père de six enfants en bas âge, occupé à mélanger la bouse pour consolider son gourbi qui ne résistera pas à une nouvelle inondation. Le dénuement extrême l'a conduit à placer Salim et Mohamed au centre de Benchicao pour ne pas mourir de faim et d'ignorance. Les voisins de Abdelkader apportent un témoignage cruel: «Le ramadhan dernier, lui et ses six enfants rompaient le jeûne avec de la «guernina» (plante comestible, ndlr) récoltée dans une forêt jouxtant Zoubaïria.» Des cas semblables sont légion ici. Une ribambelle d'enfants âgés de 4 à 6 ans environ, pieds nus et pleins de boue, se précipite à notre rencontre. Ce n'est pas l'esprit de jeu qui les anime, mais une véritable urgence émotionnelle, pour toucher la main du visiteur qu'ils pourront revendiquer comme leur «papa». «Certains n'ont même pas de chaussures pour passer l'hiver», souligne un groupe de jeunes ravagés par le chômage et la mal vie. Dans ce ghetto glacé, sans eau ni électricité, la misère dévoile un autre visage: celui des femmes dont le mari a été tué par les terroristes. «Elles vivent de mendicité», explique un habitant. Même les mécanismes de la solidarité se sont évanouis car les familles déplacées sont durement touchées par la pauvreté. Aïssa Bourass, dix enfants, n'a que la peau sur les os. Pour tenter de survivre, il est réduit à vendre de maigres fagots de bois récoltés ici et là. Combien gagne-t-il par jour? «Deux à trois fagots par semaine, l'équivalent de 300 DA.»... Comme si tous ces malheurs ne suffisaient pas, les inondations se mettent aussi de la partie. Chaque hiver, raconte-t-on, les crues pénètrent à l'intérieur des gourbis. Un péril qui les oblige à ne pas fermer l'oeil. Autre supplique, celle de Rabah Berkane, père de huit enfants, vivant dans un réduit en zinc, documents à l'appui, il attend depuis des années l'aide à l'autoconstruction car, dit-il, «mon lot de terrain est bloqué à cause du financement.» Les élus communaux de Zoubaïria font ce qu'ils peuvent avec peu de moyens. C'est au programme de relance économique qu'appartient la solution.