Le Canard a bel et bien été joué par plus malin que lui. Le Canard Enchaîné aurait fait de nouveau des siennes en livrant en pâture à l'opinion publique des indiscrétions selon lesquelles le Président Abdelaziz Bouteflika aurait demandé, il y a quelque temps, au président Jacques Chirac de l'aider à se débarrasser de «ses généraux» pour se sentir à l'aise dans sa fonction de chef d'Etat. Grâce à Internet cette «révélation» prit aussitôt l'allure d'un «pavé dans la mare» et c'est bien normal dès lors que Le Canard Enchaîné, c'est bien connu, vit exclusivement de cela pour entretenir sa réputation. Tirant à 700.000 exemplaires par semaine sans la moindre trace de publicité dans ses pages, performance rare pour un hebdomadaire dont la crédibilité est, chaque semaine, renforcée auprès de ses lecteurs par des sujets sortant apparemment des sentiers battus. Ses concurrents le craignent, on devine aisément pourquoi, et ses relais «urbi et orbi» consomment sa littérature en gloutons sous-vitaminés, on se demande pourquoi. C'est justement cette troublante insatiété qui s'est emparée de nos quotidiens dont certains, habitués à caresser la presse française dans le sens du poil notamment quand elle s'acharne à orchestrer des campagnes de dénigrement contre leur propre pays: l'Algérie. Revenons à la «fuite». Avérée, on aurait vite fait de se poser la question de savoir le but poursuivi. Or, inclinant d'emblée à croire que Le Canard Enchaîné s'est, cette fois, bel et bien fait rouler dans la farine, nous lui conseillons, à notre tour, de reconnaître ses torts et conclure en s'administrant un magistral «pan sur le bec» pour se tirer d'affaire. En fait Le Canard a bel et bien été joué par plus malin que lui. Il s'est laissé prendre à son propre jeu alors qu'il n'ignore pas que l'Algérie «n'est pas, loin s'en faut, une République bananière». A moins qu'il ne vive d'arrière-pensées. Bien qu'elle se soit toujours sentie solidaire de tous les peuples de la terre qui souffrent de l'injustice des puissants, l'Algérie n'est pas non plus la Côte-d'Ivoire où commence de plus en plus à filtrer comme un relent d'interventionnisme néo-colonial. Revenons au coeur de la «fuite». Les journalistes du Canard maîtriseraient-ils, à l'insu de l'ensemble de la presse mondiale, la dynamique des airs et, comme le roi Salomon qui en possédait la vertu, grâce à quoi ils seraient parvenus à percer le secret d'une tractation dont la sensibilité et le poids politique peuvent se transformer en secousse d'une intensité telle qu'on en oublierait les plus fortes de l'échelle de Richter, s'il ne s'était pas agi d'un ballon-sonde destiné à déstabiliser des relations bilatérales entre la France et l'Algérie dont le progrès a arraché l'approbation même des couches les plus récalcitrantes de la société française au retour à un régime privilégié de rapports entre les deux pays. La preuve, probante, est administrée quotidiennement par les chaînes de télévision française qui, loin de se contenter des plats réchauffés et pleins d'aigreur qu'elles servaient aux téléspectateurs algériens ces dernières années, redoublent au contraire d'ingéniosité pour diffuser des films dont certains regorgent d'audace et de subtilités à propos de notre guerre de libération nationale, comme celui diffusé avant-hier soir sur France 2. Par ailleurs on imagine mal le président Jacques Chirac, comme l'aurait été Vincent Auriol présidant les destinées de la IVe République française, «pigeant» au Canard Enchaîné pour le plaisir de s'administrer des remontrances à propos de dysfonctionnements dont il est censé détenir les pouvoirs nécessaires pour les éviter. C'est le réduire à peu de frais à être cafteur de son propre système. Depuis les «odeurs» qu'il aurait senties dans les couloirs d'un squat habité par des Africains et les confidences qu'Arnaud de Borchgrave, un célèbre columnist du Washington Times, lui aurait soutirées il y a une vingtaine d'années lors d'un des séjours de l'ancien maire de Paris dans la capitale fédérale américaine, le président Chirac n'a cessé de traquer les «fuites» quelles qu'elles soient et en particulier celles dont se nourrit Le Canard Enchaîné. Le génie, comme on dit, ne dure qu'un temps après quoi il dégénère comme dit Voltaire. Que des lecteurs de l'Hexagone accordent sans réfléchir du crédit aux rodomontades indigestes que publie parfois «l'Hebdomadaire satirique sortant le mercredi», passe encore, mais que des commentateurs algériens, encore aux prises avec leur cuti, continuent de prendre pour argent comptant tout ce qui s'écrit ailleurs contre leur propre pays, ne peut être que du défaitisme ou, à la limite, de la complicité. Car à vouloir opposer la hiérarchie de notre Armée nationale populaire au Président de la République, chef suprême, c'est chercher à voir l'Algérie sombrer dans le chaos. Est-ce bien dans ces arcanes putrides que se situe la liberté d'expression?