L'entourage du Président est de plus en plus convaincu que le Chef du gouvernement veut doubler Bouteflika dans la course à la présidentielle de 2004. Ce fut une visite de chef d'Etat qui a fortement déplu au Président. Le déplacement du Premier ministre, Ali Benflis, à Paris les 16 et 17 janvier n'a pas été du goût de Abdelaziz Bouteflika. Première grande conséquence, le Président algérien organise une contre-visite. Dans la plus grande confidentialité. Il sera donc reçu dans la capitale française le 5 février prochain. Le quotidien Le Monde, en date du 21 janvier, annonce que Bouteflika se rendra à Paris pour “une visite de travail” avec son homologue français. Les deux chefs d'Etat auront un déjeuner en tête à tête. Au menu des discussions, le futur traité franco-algérien. Préparée durant des semaines, la venue de Bouteflika en France a été directement traitée par l'entremise du conseiller diplomatique de Jacques Chirac, Maurice Gourdault-Montagne, qui s'est entretenu, à plusieurs reprises, avec Larbi Belkheir, le directeur de cabinet de la Présidence. Avant même le retour du Premier ministre à Alger, l'entourage de Bouteflika ne cachait pas son irritation. Objet du courroux de la Présidence : le traitement réservé par la presse française, relayée par les journaux algériens, au voyage de Ali Benflis. Ce dernier avait été accueilli comme un chef d'Etat. Et la presse a tressé quelques lauriers à l'homme politique et à l'avocat. Le quotidien Le Monde n'a pas hésité à titrer : “Le Premier ministre algérien Ali Benflis est reçu à Paris en possible successeur d'Abdelaziz Bouteflika”. Même si le Chef du gouvernement n'a pas pu bénéficier des fastes et des apparats dus à un chef d'Etat, il a néanmoins été reçu, tour à tour, par Jean-Pierre Raffarin à Matignon et sur le perron de l'Elysée par Jacques Chirac et au palais Bourbon, siège de l'Assemblée française, par Jean-Louis Debré. Voilà donc une visite qui rappelle celle que Bouteflika avait effectuée en juin 2000. C'en était trop pour l'entourage du Président, de plus en plus convaincu que le Chef du gouvernement veut doubler Bouteflika dans la course à la présidentielle de 2004. Bouteflika postule à un second mandat. Le Président l'a tôt fait savoir tant à ses proches qu'à ses interlocuteurs étrangers. À commencer par le Président français. L'histoire se passe le 18 octobre 2002 à Beyrouth. Lors du sommet de la francophonie organisé dans la capitale libanaise, le Président algérien fait office de vedette-surprise. L'Algérie ne fait pas partie de la communauté de la francophonie, souvent assimilée à une sorte de basse-cour de Paris. Officiellement donc, Bouteflika était l'invité personnel du président libanais Emile Lahoud, dont les liens étroits avec le Président français ne sont plus à démontrer. Au cours d'une rencontre en aparté, Bouteflika s'entretient avec Jacques Chirac. Les deux hommes abordent les relations entre les deux pays. Bouteflika profite de l'occasion pour solliciter l'appui du Président français dans la perspective de l'élection présidentielle de 2004. Le locataire d'EI-Mouradia explique à Chirac que sa réélection lui permettrait d'évincer les généraux aIgériens et d'éjecter l'armée hors du pouvoir. Bouteflika se fond d'une explication sur le rôle des militaires dans l'exercice du pouvoir en Algérie. Cette confidence a été livrée par le Président français lui-même et révélée, il y a deux semaines, par le journal satirique Le Canard enchaîné. En l'absence d'un démenti d'un côté comme de l'autre, l'information est donc tenue pour véridique. Bouteflika voudrait donc faire d'une pierre deux coups. Relancer sa candidature auprès du Président français et damer le pion à son Premier ministre et très probable adversaire à la course présidentielle. Depuis la victoire du FLN aux législatives et aux municipales, succès dû essentiellement au travail entrepris en profondeur par Ali Benflis, secrétaire général du parti, les relations entre la Présidence et le Premier ministère sont devenues extrêmement tendues. À Alger, les confidences sur les rapports hérissés entre le Président et son Premier ministre se multiplient. Au courant de l'été dernier, Benflis aurait déposé sa démission sur le bureau du locataire d'El-Mouradia. Refus du Président. Depuis, rien ne va plus entre les deux hommes. “Les relations entre les deux se résument au plan protocolaire”, affirme un habitué des arcanes du pouvoir. Le climat s'est tellement détérioré que le gouvernement a failli être limogé début novembre de l'année dernière. La Présidence et le Premier ministre divergent sur de nombreux dossiers lourds et tant publiquement qu'en privé, Benflis n'hésite pas à se démarquer de Bouteflika. L'exemple le plus frappant sur la discorde entre les deux hommes est le projet de loi sur les hydrocarbures, ficelé par un homme de Bouteflika, Chakib Khelil, ministre qui échapperait au contrôle de Ali Benflis ainsi que le quarteron de ministres qui détiennent les postes de souveraineté. Le Chef du gouvernement s'oppose non seulement au texte, mais à l'idée même de privatiser le secteur, privatisation ardemment souhaitée par les Américains, qui ne cessent de presser Bouteflika pour faire aboutir le projet. “Je m'oppose à la privatisation de Sonatrach en tant que Chef du gouvernement et en tant que secrétaire général du FLN”, avait affirmé Benflis récemment. Evidemment, les propos ont soulevé le courroux de Bouteflika, un temps déterminé à faire passer le projet de force, quitte à légiférer par ordonnance. L'opposition de Benflis fait un heureux, en la personne du patron de l'UGTA. Sidi-Saïd ne décolère pas contre le président, d'où la crainte de l'actuel chef de l'Etat de voir les deux hommes travailler en commun pour la concrétisation de la candidature de Ali Benflis en 2004. Et cela Bouteflika n'en veut pour rien au monde. Quitte à organiser une contre-visite à Paris pour effacer les traces de passage de son Premier ministre. F. A.