Suite au texte me concernant paru dans le Radar du lundi 6 octobre 2008, Yasmina Khadra nous a fait parvenir sa réponse dont nous publions l'intégralité. Depuis longtemps, je ne réagis plus aux énormités que certains journalistes me consacrent. Steinbeck disait que l'insulte ne demeure telle que lorsqu'elle s'adresse à un homme peu sûr de sa valeur. Albert Camus trouve qu'on ne peut pas se défendre sans faire l'apologie de soi. Par ailleurs, démenti et mise au point sont des exercices qui ne seyent pas à mon tempérament. Mais des amis chers à mon cœur insistent pour que je m'explique et rassure les gens qui me respectent… De quoi s'agit-il au juste ? D'un correspondant canadien à Paris connu dans son pays pour ses écarts de conduite et son goût pour la provocation. Un journaliste contaminé par les mercenaires de la presse parisianiste, antimilitariste vache, partisan de la thèse de “qui tue qui”, à qui je devais déjà un portrait dévalorisant, il y a 3 ans lorsque j'étais l'invité d'honneur du Salon de Montréal. J'ai cru qu'entre-temps il a eu du remords, qu'il a peut-être grandi, ou mûri puisque seuls les imbéciles ne changent pas d'avis. Je me suis trompé. Il n'a pas changé d'avis. Au bout d'un entretien qui se passait bien, le journaliste a commencé à me sortir les accessoires traditionnels de la suspicion. Ecœuré, je lui ai dit tout le mépris que les misérables de son acabit m'inspirent. Résultat : il se venge. Comme d'autres avant lui. C'est la rançon du succès : là où certains vous encensent, d'autres vous enfument. Quoi de plus naturel ? Les feux de la rampe sont indissociables des flammes du bûcher. Simple question d'optique. Aujourd'hui, on me dit plus connu que l'Algérie. Demain, on me fera dire que je suis plus inventif que Dieu le Père. Dois-je, à chaque fois, remettre les choses à leur place ? La réponse est non. Cela ne servirait à rien. Si les prophètes n'ont pas réussi à assagir les Hommes, ce n'est pas un romancier qui y parviendrait. Cependant, puisqu'on y est, autant crever l'abcès : depuis des années, je suis régulièrement défiguré, traîné dans la boue, traité de taré, de scribouillard du régime, de criminel de guerre, d'espion, de littérateur mineur, de mensonge littéraire fabriqué par la France ; je ne me souviens d'avoir vu mes frères s'en indigner. Et voilà qu'il a suffi d'une malveillance flagrante pour que, d'un coup, l'on crie au sacrilège. Pauvres de nous !… Que Paris s'évertue à me diaboliser, c'est de bonne guerre. Paris n'a jamais supporté qu'un Algérien lui tienne tête. Mais que des Algériens se fassent partie prenante de cette diabolisation, cela dépasse l'entendement… Ce qui est choquant, ce ne sont pas les propos que l'on m'attribue… Ce qui est choquant est cette promptitude servile que se découvrent certains Algériens lorsqu'il s'agit du lynchage d'un des leurs. Ce qui est choquant est cette tendance morbide à se mettre systématiquement du côté de ceux qui nous méprisent, avilissent et nous dénient le droit d'avoir du talent, de la dignité et du courage. Ce qui est choquant est cette vocation viscérale qui nous particularise lorsqu'il est question de porter le coup de grâce à l'un des nôtres que les Autres ont jeté à terre. Mais, je ne suis pas à terre. Et je continuerai de dire tout mon dédain et mon chagrin pour les êtres méprisables. Je ne dois rien à personne. Je me suis construit tout seul. Sans réseau ni parrain. De mes blessures je puise ma force, de mon indépendance je forge mes libertés, et j'ai appris à ne rien attendre de ceux qui n'ont rien à donner. Qui ne possède ne donne, dit le proverbe arabe. Yasmina khadra