“Vers une résistance radicale et globale”, c'est sous cet intitulé que le penseur et poète syrien Adonis a abordé, lundi après-midi, à la Bibliothèque nationale (Alger) une conférence sur l'impasse de la pensée arabe et la crise de la modernité qui secoue les sociétés arabo-musulmanes contemporaines. Très attendue par les milieux intellectuels algériens, la venue du penseur syrien – nominé pour le Nobel de littérature 2008 — a drainé un public très nombreux tant son discours est en rupture totale avec le “politiquement correct” ambiant en matière de pensée dans le monde arabo-musulman contemporain. Adonis s'est attaqué de front à la question de la “nécessaire” sécularisation des sociétés arabo-musulmanes en déclarant qu'il était “respectueux de l'islam” et aux-delà de toutes les religions en tant que spiritualité et expérience humaine mais “totalement opposé” à l'“islam-institution” ou “islam régime”. Les termes du débat ainsi posés, le conférencier s'est attaqué aux régimes arabes, apparus dans la seconde moitié du XXe siècle et qui ont échoué, à la fois, à “libérer l'homme” et à asseoir des Etats modernes basés sur le droit et le respect de l'individu, affirmera-t-il. Dans un réflexe tribal qui nie l'individu et la liberté individuelle, ces élites politiques “progressistes” et “laïques”, à l'origine de la libération de leurs pays respectifs, n'ont fait que perpétuer le clanisme et le népotisme aidés par des intellectuels qui en sont les “complices”, dira l'intellectuel syrien. À propos du rôle de l'élite intellectuelle dans les sociétés arabo-musulmanes, Adonis considère que cette dernière “ne remplit” pas les critères de “probité morale et intellectuelle” lui permettant d'être à l'avant-garde des changements nécessaires, c'est-à-dire la sécularisation de la société qui est, insistera-t-il, au cœur de la crise de la modernité dans ces sociétés. Dans une allusion à peine voilée, Adonis considère que ses pairs dans le monde arabe manquent de courage intellectuel et sont frileux quant à la question de la laïcité. “Le Texte (le Coran) est constant, mais son interprétation change, or il n'y a aucun effort de questionnement théorique” en la matière, déplore-t-il. Cet absence de la pensée critique a coupé l'intellectuel arabe de la société, faisant de lui non pas un être “autonome”, pensant par lui-même, mais un “instrument” au service des gouvernants. Privées d'une élite intellectuelle pour remettre en cause la pensée traditionaliste et les modèles tribaux, les sociétés arabo-musulmanes s'en trouvent sclérosées, affirme Adonis. “Nous sommes absents de la carte du monde actuel et en marge du cours de l'Histoire”, se désole le penseur syrien. R. C.