Voici donc la révision tant attendue et tant appréhendée de la Constitution ! Peut-être même deux révisions successives plutôt qu'une, puisque la toute prochaine modification empruntera la voie parlementaire pour ne pas s'imposer “le recours au peuple”. En “l'éloignant sans l'abandonner”, la solution parlementaire réserve à la voie référendaire le rôle d'une révision qui aura “la profondeur, le volume” que le Président dit avoir toujours souhaité lui donner. En qualifiant les changements de “partiels et limités”, Bouteflika ne veut pas seulement justifier le recours au simple vote parlementaire en lieu et place du référendum ; il veut réduire un changement de système politique à un simple ensemble de retouches. Il s'agit bien, en effet, d'une nouvelle constitution, puisque les changements touchent aux deux fonctions essentielles d'une loi fondamentale : l'organisation des pouvoirs et le mode d'accès – et de conservation — du pouvoir. Pour ne pas dire “à chacun à sa constitution”, Bouteflika dit : “à chaque constitution des raisons et des perspectives”. Dans son discours, hier, il rappelait d'ailleurs qu'il avait déjà, en 1999 comme en 2004, déclaré que la Constitution actuelle ne correspondait pas à sa vision d'une bonne organisation de la gestion du pays. Dans les motifs de révision exposés devant les magistrats, il y a une grande franchise politique. Le Président compte se faire réélire par le peuple qui “seul a la décision” et ne pas s'en laisser conter sur le thème de l'alternance au pouvoir auquel il oppose le droit du peuple “à choisir son gouvernement” et surtout “à lui renouveler sa confiance”. Dans une mise en scène un peu gaullienne, Bouteflika met en dialogue “le gouvernement élu” et le “citoyen électeur”. Le nouveau “système” (c'est le terme employé par le Président) sera fondé sur la “stabilité, l'efficacité et la continuité”. La stabilité et la continuité sont ici arbitrairement érigées en notions complémentaires, alors que si la continuité peut être le fruit de la stabilité, la règle est que la continuité, en système électif, conduit plutôt à l'instabilité. De Gaulle l'a vérifié à ses dépens et, n'ayant pu réconcilier les deux concepts, il s'est soumis au référendum, sans essayer de le soumettre. Mise en sandwich entre les deux, “l'efficacité” semble être là pour nier que la continuité et la stabilité constituent, dans ce cas, une fin en soi, une fin pour soi. C'est une constitution pour l'Exécutif et contre tous les contre-pouvoirs, y compris les pouvoirs constitutionnels autres que l'Exécutif. Dans le passage du discours réservé à la Constitution, le judiciaire n'est pas évoqué et le Parlement n'est cité que par son attribut fonctionnel, comme voie “parlementaire” de changement de système. À peine une allusion introductive au respect “des équilibres des pouvoirs”. Il n'y en a que pour un Exécutif fort et reconductible qui peut “décider avec célérité et efficacité”, c'est-à-dire sans encombres procédurales ou politiques. L'Exécutif d'aujourd'hui avec notre consentement constitutionnel. Au fait, pour quelle efficacité — économique, sociale ou politique ? — sommes-nous invités à l'enterrement définitif et total de l'alternance et des contre-pouvoirs ? M. H. [email protected]