Pourquoi l'hôpital Salim-Zmirli, seul entre tous, est-il officiellement désigné comme un hôpital d'urgence ? Un hôpital régional de campagne construit à El-Harrach, il y a plus de vingt ans qui s'est transformé par la force des circonstances, ou bien un choix délibéré, qui définissait au départ pour cette fonction d'urgence une position géographique et une conception très particulière ? Personne n'a pu nous répondre clairement au cours de notre reportage. Sans doute parce que l'urgence à Zmirli, cela va de soi. L'hôpital Mustapha avec ses douze urgences et ses cinquante services médicaux, chirurgicaux, spécialisés, ses labos, services de radio etc., situé en plein cœur de la capitale, n'est-il pas un hôpital d'urgence ? L'on peut en citer d'autres : Aïn Naâdja, Rouiba, Bab El-Oued, Béni Messous. Rien qu'à Alger ! Des tas d'autres établissements hospitaliers d'Algérie pourraient facilement être classés établissements d'urgence. Puisque cela n'existe nulle part dans aucun pays au monde, qu'est-ce qu'un hôpital d'urgence au juste ? Vaste question, sûrement… En tout état de cause, au moment où la réforme hospitalière est entrée dans sa phase active, il serait peut-être temps pour les services de santé concernés, au niveau national, de commencer par mieux organiser l'évacuation des blessés graves, accidentés et autres cas pathologiques avant leur arrivée aux urgences. La contractualisation annoncée par cette réforme va entraîner ipso facto un contrôle sévère de la prise en charge de toutes les entrées dans les établissements sanitaires publics avant remboursement des frais par les organismes d'assurances sociales. Or, le manque, sinon l'absence quasi totale d'ambulances dûment médicalisées et l'inexistence du transport par voie aérienne de personnes en danger absolu sont autant de lacunes d'importance qui décrédibilisent a priori toute action de secours. Les urgences au plan de la vie humaine sont un tout indissociable depuis le déclenchement du pronostic de secours, on le sait, alors qu'au premier maillon de la chaîne, la plupart des entités du Samu ne répondent plus aux normes, et celles de la Protection civile ne sont pas équipées du tout pour nombre d'entre elles, mis à part les brancards. À l'heure des grands projets et de la construction d'hôpitaux modernes dont le plus grand et plus moderne hôpital d'Afrique (le CHU d'Oran), il faudrait en somme se demander si le minimum est vraiment assuré dans le processus qui mène aux urgences, quel que soit le chemin qui mène vers l'hôpital, et pour justifier réellement les efforts et le flux financier consentis par l'Etat ces toutes dernières années en direction de la protection sociale du citoyen. Tandis que la modernisation actualise en permanence les gestes qui sauvent, en Algérie cela demeure encore une grosse affaire pour un accidenté de la route, par exemple, que d'être recueilli et transporté avec soin. “Bien souvent, on nous amène les blessés comme si on voulait vite s'en débarrasser… On ouvre rapidement les brancards, on les jette presque et on redémarre”. Propos recueillis à chaud. Amputation d'un membre tous les deux jours Quant aux urgences proprement dites, “il est tout simplement urgent de réformer les urgences et d'abord de former des médecins urgentistes”, nous dit-on de sources médicales autorisées. Autre débat. Conciliation des efforts et espoir de sauver les cas les plus désespérés, cela pourrait bien résumer l'état d'esprit qui anime les équipes de cet hôpital Salim-Zmirli. C'est la fin de la matinée ce jour de semaine, et à notre arrivée, Zmirli, — comme on appelle familièrement l'hôpital — ressemble à une véritable ruche. Le laboratoire d'analyses travaille à plein régime. La radio aussi. Sur le qui-vive H24, partout l'on s'attend d'une minute à l'autre à de nouveaux cas de polytraumatisme. Ce qui cause le plus de ravages. Avec une moyenne de dix à quinze par jour, l'on a fini malheureusement par s'y habituer ici. Les accidents de moto constituent à eux seuls une véritable hécatombe, souligne-t-on, en citant des jeunes âgés parfois à peine de 16 à 18 ans qui sont reçus quotidiennement dans un état effrayant. Régulièrement, un accident grave de moto aboutit obligatoirement à une intervention chirurgicale imminente. Le phénomène serait récent. En tout cas, il s'est amplifié de manière à constituer quasiment une plaie sociale. La moto fait ainsi un massacre parmi les jeunes, à Alger peut-être plus qu'ailleurs de par ses parcours faciles et larges (autoroutes périphériques) sans doute, le circuit le plus fréquenté par les motards étant la ceinture proche de la capitale, la radiale Zéralda Dar El-Beïda en particulier. Le dernier mois de Ramadhan aura constitué pour Zmirli un pic alarmant, avec une amputation d'un membre tous les deux jours en moyenne, pour les accidentés de la moto. Les autres accidentés de la route restent cependant les plus nombreux, de même que l'on dénombre de nombreux accidents du travail, fréquents dans cette région qui englobe les deux grandes zones industrielles de Rouiba et de Oued-Smar à quelques encablures, ainsi que la raffinerie d'Alger (Sidi-Rezine) à proximité de l'hôpital. C'est la fin de l'après-midi. L'hôpital observe une sorte de répit aujourd'hui. Les urgences ne semblent pas très graves. Car chaque jour; l'autoroute de l'Est livre son lot d'accidentés de la route, qui viennent d'aussi loin que Bordj Bou-Arréridj et Bouira. Et dans cette triste routine, l'on reconnaît des jeunes, beaucoup de jeunes dont certains auront hélas peu de chances de s'en sortir tout à fait indemnes, s'ils ne succombent pas à leurs blessures. Un cycle infernal. De loin, derrière les vitres de la salle de réanimation plongée dans un silence absolu et d'une propreté impeccable, on nous montre un jeune. Il est plongé dans un coma profond depuis six jours. 18 ans et un visage d'ange. Il a eu son bac cette année. Accident de la route. Traumatisé crânien grave. Son père et sa mère sont morts sur le coup. D'autres sont là dans les huit autres chambres, inconscients sur leurs lits, évacués en urgence, comateux dont le sort est incertain. Comment peut-on tenir devant une telle scène, si déchirante, de jeunes au seuil peut-être de basculer d'une seconde à l'autre dans l'autre monde ? “C'est l'espoir, et aussi pour nous cet immense bonheur que vous ne pouvez imaginer lorsque l'un d'eux se réveille”, nous dit-on au milieu des pas feutrés qui ne s'arrêtent jamais dans les couloirs de la réanimation de Zmirli. L'urgence des urgences Espoir. Mais il y a aussi cette solide expérience acquise par cet hôpital devenu stratégique et vital plus que jamais au cours des années noires du terrorisme, qui se manifeste à présent par une certaine harmonie entre les quatre services-clés : orthopédie, chirurgie générale, neurochirurgie et médecine interne, et avec tous les autres services annexes indispensables. Ces quatre services sont d'ailleurs regroupés dans un seul bloc, entourés du labo, de la radio, de la transfusion, etc. ce qui évite de courir à droite et à gauche et de perdre un temps précieux pour le blessé ou le malade urgent comme c'est le cas pour d'autres établissements de la capitale. Durant toute la période de la décennie noire, l'hôpital a continué à fonctionner avec les vieilles méthodes et les moyens du bord. Aujourd'hui, les mêmes équipes sont restées. La pression a fortement diminué. Et comme à Zmirli, tout est dans la manière de faire, la réadaptation s'est réalisée rapidement autour d'équipements très modernes, et l'hôpital garde désormais le cap sur ses objectifs essentiels : souplesse et rapidité, conciliation de tous les efforts, en mettant à profit chaque minute pour sauver une vie humaine. La nature des interventions a changé depuis longtemps. La gravité des cas n'a pas pour autant disparu. Après les accidents de la route et les accidents du travail, les tentatives de suicide figurent en bonne place sur la liste noire des urgences. Pour ces vingt derniers jours uniquement, Zmirli a enregistré une douzaine de jeunes filles qui ont tenté le saut vers l'inconnu, et c'est avec anxiété qu'un maître-assistant nous en parle, brièvement, très attristé que l'on se soit retrouvé, aux urgences, chaque fois en face d'adolescentes de 15 à 22 ans tout au plus. Pourquoi ? La plupart des parents ont avancé le même motif : elles étaient en train de laver les vitres… L'autre cas grave à Zmirli, l'urgence des urgences, concerne la tumeur au cerveau. C'est l'urgence vitale que la neurochirurgie rencontre au moins une fois par jour. Elle est traitée sur place généralement. Il reste que la malformation vasculaire cérébrale ne l'est que jusqu'à un certain stade. Cette anomalie courante peut rapidement devenir mortelle quand elle se déclare, nous explique-t-on, et pour éviter là aussi le transfert à l'étranger, tout un équipement sophistiqué est requis (embollisation, angiographie etc.). Dans ce sens, Zmirli se situe néanmoins à un très haut niveau déjà de la microchirurgie en adoptant depuis peu la microchirurgie fonctionnelle, celle qui vise la douleur, la spasticité et la séréotaxie, et qui a débouché sur le traitement de la maladie de Parkinson ici à l'hôpital (une trentaine de malades pour l'instant). Et l'accueil ? Le directeur en personne veille au grain. C'est simple, il ne s'arrête pas de tourner dans l'établissement, du matin jusqu'au soir… Z. F.