Le Centre culturel français d'Alger a reçu la compagnie théâtrale Tréteaux de France pour deux représentations consécutives (lundi et mardi), de la pièce Audiberti et Fils, qui retrace le parcours du poète Jacques Audiberti à travers des séquences de sa vie et de ses œuvres. Adaptée et mise en scène par François Bourgeat, le spectacle d'une heure est, en fait, un collage de plusieurs textes du poète, écrivain et dramaturge Jacques Audiberti, dans lequel Bourgeat divise sa vision en deux axes : il joue à la fois sur le lien spirituel entre un poète et un metteur en scène, ainsi que sur les rapports entre un père et son fils. Vision concrétisée non seulement par la force du texte et la présence des deux comédiens, mais aussi grâce au lien qui les unit, car les deux acteurs, à savoir Marcel Maréchal et Mathias Maréchal sont liés artistiquement sur scène, par et pour le théâtre, mais ils sont aussi père et fils. La première scène de la pièce précipite le spectateur dans le vif du sujet. Un vieil homme, Jacques Audiberti, sans l'ombre d'un doute, vêtu en noir avec un chapeau sur la tête et des lunettes de soleil pour se protéger du monde extérieur et mettre de la distance par rapport à ces propos. L'homme est aigri et blasé. Il ne croit plus en rien et remonte vers ses belles années par l'arme du souvenir. Un autre, plus jeune et habillé en blanc, se tient debout à ses côtés, déchaussé. Ce jeune homme prénommé “Damase” est un personnage fou qui ne dialogue pas avec Audiberti, et ne commence à exister qu'à partir du moment qu'il met des chaussures. Le personnage fou se transforme en fils et Jacques Audiberti en père. Par les liens familiaux qui les unissent, les deux comédiens ont donné plus de force, de crédibilité et de sensibilité à la scène qu'ils interprétaient. Le public est ensuite revenu à Audiberti par le biais d'un entretien que le poète a réalisé avec un journaliste. Jacques Audiberti fut un écrivain aux multiples facettes puisque dramaturge, poète et romancier a vu le jour le 25 mars 1899 à Antibes, dans les Alpes-Maritimes ; il est mort le 10 juillet 1965 à Neuilly-sur-Seine. Son écriture retrace ses plaisirs, ses découvertes ou encore ses colères. Jacques Audiberti a marqué son encrage dans la langue et dans la culture du voyage. Il a d'ailleurs été donné à voir l'engagement du poète dans sa jeunesse par les mots qu'il considérait comme arme unique et invisible contre tout, contre tous et contre le mal. La pièce revient aussi sur le désengagement d'Audiberti, sa désespérance et sa déception du genre humain, à travers un extrait de son chef-d'œuvre théâtral le Cavalier seul, qui retrace la résurrection de Jésus et sa “démission” du genre humain. L'exceptionnel dans la représentation est que son auteur a réussi à ressusciter, l'espace d'une heure, Jacques Audiberti qui a, dans des envolées lyriques et poétiques, rappelé que “le poète était un exilé de l'humanité” et qu'“au-delà de la poésie, il y a la folie et Artaud et même Van Gogh l'ont compris”. En plus d'une réflexion sur le poète et sa place sociale, Audiberti et Fils effleure le thème de la réconciliation qui touche particulièrement l'Algérien et ce, à travers la rencontre du bourreau et sa victime. Les deux comédiens ont interprété leur rôle dans une grande fragilité et avec de la pudeur même. Outre son physique de jeune premier, le comédien Mathias Maréchal a séduit par son jeu sur le burlesque. C'est lui qui menait le jeu et son père, Marcel Maréchal suivait. Le rythme d'ailleurs était changeant, et le public a été tenu en haleine du début à la fin. Audiberti et Fils fut un beau moment de théâtre, une grande leçon de vie ponctuée par des airs de musique italienne, exotique (réalisé par François Fayt qui a assuré le montage) représentative de toute l'authenticité et de la fragilité du poète Jacques Audiberti. Le public algérois aura découvert ou retrouvé le poète qui a osé s'égarer au-delà de la folie. Sara Kharfi