Dans le cadre de son cycle “Racisme et culture”, le Centre culturel français d'Alger a reçu, jeudi dernier, la psychiatre et psychanalyste Alice Cherki et la psychologue clinicienne et psychanalyste Karima Lazali, le temps d'une conférence, modérée par l'historien Daho Djerbal, autour de l'engagement du “prophétique” Frantz Fanon et de l'actualité de sa pensée concernant la violence culturelle. Le propos des conférencières a tourné autour de l'actualité de la pensée de Frantz Fanon concernant la violence, la négation par le colonisateur du colonisé ainsi que le rapport entre mémoire, histoire et oubli. En fait, l'indépendance en soi n'est pas un signe de libération et, par conséquent, 1962 pour l'Algérie, qui est indéniablement une date historique, ne représente en aucun cas la fin de la subalternité et du complexe qui continuent jusqu'à nos jours. En plus de sa qualité de psychiatre et de psychanalyste, Alice Cherki a bien connu Frantz Fanon qui a travaillé ainsi à son côté en Algérie et en Tunisie, et partagé son engagement politique. Auteur de plusieurs ouvrages, notamment Frantz Fanon, portrait (Seuil 2000), Alice Cherki a prolongé le travail et le questionnement de Fanon. Son propos lors de la conférence a tourné autour du racisme culturel, du refoulement des victimes suite aux traumatismes subis ainsi que de l'altérité de la culture, synonyme d'ouverture. Elle a affirmé que selon Fanon, “une culture est toujours en mouvement et toujours altérée”, et qu'“en rejetant l'autre, c'est soi qu'on rejette”. En fait, rejeter la culture de l'autre, c'est refuser sa différence. Ceci implique la création des clivages et le rejet de l'étranger en soi. Selon elle, face à ce déni de l'altérité, nous assistons depuis deux décennies à un particularisme identitaire que l'élection d'Obama pourrait faire disparaître symboliquement. Mais ce particularisme n'en demeure pas moins “une momification de la culture”. Alice Cherki, qui ne s'est pas privé de relater quelques anecdotes sur Fanon, a conclu en insistant sur le fait qu'“une culture doit être ouverte, altérée et en perpétuel mouvement.” De son côté, la psychologue, clinicienne et psychanalyste Karima Lazali a développé l'émergence du sujet dans l'histoire. Elle a surtout tenté de prouver en quoi la pensée de Frantz Fanon est-elle freudienne. Karima Lazali a démarré du postulat que Fanon s'inscrit dans la continuité par rapport à Freud. Selon elle, la pensée de Frantz Fanon est plus que jamais d'actualité et c'est là où réside son côté prophétique et visionnaire puisqu'il a abouti dans sa réflexion à la répétition de l'histoire si jamais la culture n'est pas altérée. L'exemple des séquelles de la colonisation est le plus révélateur pour la conférencière qui estime qu'en plus des clivages et de la hiérarchisation des langues, la colonisation a créé un rapport d'étrangeté. Karima Lazali considère que le rapport dominant-dominé a créé chez certains peuples des identités déchirées et une culture hybride. Par ailleurs, elle affirme – et le prouve — que “l'histoire se répète et le seul moyen pour s'affranchir de la domination de l'autre, c'est d'accepter sa différence, et le seul moyen pour sortir de cette répétition démoniaque, c'est l'échange interculturel et la distribution de la responsabilité des tâches”. La violence persiste, même après les indépendances, car la culture n'est pas altérée ; et face aux identités déchirées, la citoyenneté reste un titre dépourvu de sens. Face à cette violence culturelle, l'être humain s'enferme dans un moi mensonger, dans une identité virtuelle. Frantz Fanon l'avait prédit… et nous le vivons ! Sara Kharfi